Sourire retrouvé

Portrait. A 24 ans, Delphine est une victime. Violée à deux reprises dans sa jeunesse, par un homme qu’elle considérait comme son père, aujourd’hui elle prend sa vie en main. Par la parole et par son activisme pour la cause des femmes, elle rêve d’une société meilleure. 

« Il m’a violé ». Delphine vit depuis onze années un calvaire dont elle ne pourra jamais vraiment se libérer. Un passé lourd, que l’on n’oublie pas, qui nous marque à vie. 

Dans l’ambiance fleurissante de Noël, alors que le vin chaud et les chants hivernaux remplissent les rues de Metz, c’est dans un petit recoin d’un pub, bien au chaud, que Delphine décide enfin de lever le voile.  « J’ai besoin que ça sorte, c’est le moment de parler » se convainc-t-elle, nerveuse en tirant sur sa cigarette avant de s’installer. La jeune femme souriante, aux yeux bleus rieurs se place face à la porte, de façon à contrôler qui rentre. Une parole libérée oui, mais encore fragile. 

 « Je ne pouvais pas réagir »

Rencontrée à l’occasion de la marche contre les violences faites aux femmes, Delphine tenait alors le mégaphone et s’époumonait au rythme des slogans, repris par tout le cortège. La rage dont elle a fait preuve ce jour-là provient de ce jour de 2009. 

C’était un jeudi soir. L’homme qu’elle connaissait depuis quatre mois seulement lui propose de venir la chercher pour passer la soirée chez lui. La fillette de 13 ans fait le mur, pensant retrouver ses amis. Celui qui deviendra son bourreau est en effet le père de ses copains de l’époque. Très proche des jeunes et des amis de ses enfants, le cinquantenaire « trainait souvent avec (eux) ». « Il était reconnu comme travailleur handicapé, alors il avait du temps. Il était souvent avec nous au skate-park ».  

L’adolescente avait vite noué une relation de proximité avec lui. Elle se sentait en confiance, il la protégeait, elle allait souvent chez lui. C’était innocent. Le soir du drame, Delphine avait confiance. Jusqu’à ce qu’ils arrivent, dans une zone industrielle, où il n’y avait personne, où il faisait très noir. « J’étais complètement inhibée. Je ne pouvais pas réagir, je faisais tout ce qu’il me disait » se remémore-t-elle avec douleur. Aujourd’hui à 24 ans elle peut mettre des mots dessus « Il m’a violé dans la voiture ! C’était incestueux ». Elle avait tissé des liens père/fille avec son violeur avant le passage à l’acte. C’est commun, « seulement 11% des viols sont commis par des inconnus. Les 89 autres pourcents sont par des proches ! C’est terrible ! »

Dépression et descente aux enfers

Un viol, puis un deuxième un mois plus tard, par la même personne. Même configuration, la fillette n’a rien pu faire. Sous l’influence de son violeur, Delphine en devenait presque amnésique. 

Devenir l’actrice de sa vie, c’est le but que s’est fixée la jeune fille. Photo : Ana Gressier

Mais le pire vient quelques années plus tard, lorsque l’adolescente est au lycée. L’élève de première « côtoie les enfers ». Dépression, solitude, joints, hospitalisation semblable à de la prison. Et des parents qui banalisent cette « crise d’adolescence ». « Mes parents n’ont jamais été mes alliés » regrette-elle sans amertume. 

A 18 ans seulement elle fait la rencontre de celle qui marquera le début d’une fragile guérison. En Suisse, elle consulte une psychiatre formée pour accueillir des femmes victimes de violences. « Et ça s’est senti ! » sourit tristement la jeune femme. Définitivement indépendante de sa famille, elle voyage à l’étranger, elle apprend les médecines alternatives, expérimente une retraite spirituelle en Amazonie notamment pour entamer un processus de guérison. 

Aujourd’hui, Delphine ambitionne de devenir thérapeute, tournée vers le développement personnel et spécialisée dans des thérapies brèves, tournées vers la solution.

Parler pour ne plus jamais subir

Des années de sa vie ont été gâchées, perdues. Celle qui rêvait de devenir trapéziste poursuit maintenant de nouvelles ambitions. Récemment engagée dans l’association « Osez le Féminisme 57 », elle rassemble toutes ses peurs, ses déceptions, ses tourments pour en produire une colère positive. Parce que plus jamais elle ne veut revivre ce qu’elle a vécu en allant au commissariat, quand à 17 ans elle a décidé de porter plainte. Non-entendue une première fois car mineure, bien que sa famille ne fut pas au courant des viols, un de ses parents devait signer son dépôt de plainte. Les fonctionnaires lui ont indiqué ne pas pouvoir recevoir sa plainte et l’ont invité à revenir avec un responsable légal, ne faisant rien pour la jeune femme. Abandonnée par la justice et la police car depuis ce jour de la confrontation entre elle et le criminel, où elle s’est rendue seule, elle n’a plus jamais eu de nouvelle ni de son avocate commise d’office ni des policiers. De sa plainte, Delphine en restera là et l’agresseur aussi.

Crier « police complice, justice complice » portée par une foule qui la reprend en cœur : c’est libérateur. C’est le meilleur moyen de faire échapper sa colère. « Ça m’a fait tellement de bien » s’en amuse Delphine en repensant à ce samedi de mobilisation.

Nécessité d’éduquer

La néo-messine se sent moins seule depuis qu’elle a rejoint ces groupes de filles. Ce n’est pas par esprit de vengeance mais simplement pour apprendre à ne plus se laisser faire. Elle apprécie l’entraide et l’écoute que peuvent lui apporter les autres. Dans les semaines qui viennent elle va participer à une table ronde sur les violences faites aux femmes et à des ateliers de sensibilisation dans les écoles, « Tout passe par l’éducation » est persuadée la féministe. Proactive dans son investissement, elle estime que c’est un juste retour des choses. Elle a enfin réapprit à s’accepter en tant que femme, à arrêter de se cacher derrière des vêtements trop larges, elle s’est réconciliée avec les hommes et vit en couple depuis un an. « Je suis une victime, mais je ne veux plus me considérer comme une victime. Je veux reprendre le pouvoir sur ma vie ». 

Si Delphine a mis du temps avant de parler de son histoire, aujourd’hui elle encourage toutes les victimes à se confier, à dénoncer. Parce que « Parler, c’est déjà agir ». 

Si vous rencontrez une difficulté, le réflexe à avoir : s’adresser à la Fédération Nationale Solidarités Femmes directement au numéro unique 3919

Ana Gressier