Clara et Mark sont confinés dans une auberge de jeunesse en Écosse. Le gouvernement local n’a pourtant pas décidé de second confinement. Ce sont les pertes économiques engendrées par la crise de Covid-19 dans le secteur du tourisme qui amènent le couple à vivre reclus depuis cinq mois.

En juillet, Clara et son conjoint Mark ont emménagé dans une auberge vide, à Fort William, en Écosse. Mark est originaire de Glasgow et gagne sa vie en entretenant les sentiers de haute-montagne. Clara est française et gérait, il y a encore peu de temps, plusieurs auberges du groupe hôtelier indépendant « Jojo’s hostels ». D’ordinaire, « Fort William Backpackers » et les quatre autres auberges du groupe dans la région des Highlands, sont des refuges animés. Les visiteurs sont surtout des randonneurs, venus des cinq continents.

En mars, la pandémie de Covid-19 a contraint la fermeture de tous les établissements. « Dans un premier temps, la propriétaire, Joanna Morgan, a mis ses dix salariés au chômage. Ne pouvant pas rouvrir cet été, elle a finalement décidé de les licencier », explique Clara. En mars, la française avait déjà quitté l’entreprise et même l’Écosse, pour un séjour de plusieurs mois en Australie. Elle raconte : « À mon retour, en juin, j’ai contacté Jo’, la propriétaire du groupe hôtelier. Elle n’avait pas de poste à pourvoir mais m’a proposé d’occuper gratuitement l’une des auberges, avec mon compagnon. Pour des questions d’assurances, il fallait quelqu’un sur place ».

« C’était bondé cet été »

Au déconfinement, les autorités écossaises ont attribué des aides à la réouverture, à condition que les hôteliers s’engagent à mettre en place de nouvelles normes sanitaires. « Il fallait suivre des règles que nous ne pouvions pas respecter. Par exemple, une même famille devait avoir sa propre salle de bain. Chez nous, tout est collectif et les couloirs sont étroits. Il n’y a que quatre cabinets de toilette, pour une capacité de 37 personnes. Ce sont surtout les auberges avec de très grandes capacités d’accueil qui ont pu s’adapter », estime l’ex-manager de l’auberge.

Dans l’impossibilité de respecter les consignes, le groupe « Jojo’s » a dû faire une croix sur les recettes du tourisme estival. Clara se souvient d’un été 2020 très animé : « Il y avait quelques Français, quelques Espagnols et une grande majorité de Britanniques. Le gouvernement encourageait les Anglais à voyager en Grande-Bretagne. C’était bondé dans les Highlands ! Même pour camper, il fallait jouer des coudes. ».

L’auberge Fort William Backpackers peut accueillir jusqu’à 37 clients. Cuisine, salon et salles de bain sont partagés. © Mitch Harasym

Vers une fermeture définitive de l’auberge ?

Face à un important manque à gagner, Joanna Morgan a lancé une pétition « pour sauver l’industrie de l’auberge de jeunesse en Écosse ». Son objectif est de faire reconnaître le modèle économique particulier de ce secteur et les difficultés qu’il connaît à cause de la crise sanitaire. En temps normal, les membres du personnel des auberges sont des volontaires étrangers. Ce modèle a émergé grâce à des plateformes comme Helpx, qui rassemblent des voyageurs au budget serré cherchant un logement en échange de quelques heures de travail. Les auberges écossaises plébiscitent ce mode de fonctionnement. Le Brexit constituait déjà une entrave à la venue de ces travailleurs-vacanciers, le coronavirus l’empêche encore davantage.

Dans un énième effort pour sauver son affaire, Jo’ Morgan a tenté de contracter un prêt de 250 000 livres sterling. Clara se souvient : « Quand Jo’ a appris qu’elle n’obtiendrait pas de prêt, elle a appelé d’anciens salariés pour annoncer une possible fermeture définitive des auberges ». À Fort William, des établissements touristiques concurrents, qui avaient pu recevoir du public cet été, s’apprêtent à fermer provisoirement. Pour l’expatriée française : « C‘est économiquement risqué de rester ouvert cet hiver, alors que plusieurs pays européens sont reconfinés ».

14 cas de Covid-19

En cette période de crise sanitaire, sur l’archipel Britannique, l’Écosse ressemble à un îlot. Seule la ville d’Aberdeen, sur les rives de la mer du Nord, a connu un second confinement. À Fort William, quatorze cas de Covid-19 ont été dépistés, puis rapidement isolés. Dès le début de la crise, la Première ministre d’Écosse, Nicola Sturgeon, a mis en place des mesures contraignantes pour endiguer la propagation du virus. « Depuis juillet, nous ne sommes pas sortis dans les bars. D’ailleurs, ils doivent fermer plus tôt. En revanche, on reçoit des amis, dans la limite fixée à six personnes par le gouvernement. Parce que nous devons veiller sur l’auberge, nous sommes confinés, mais cela nous va bien », positive Clara.

Pour garder le moral malgré l’arrivée de l’hiver, le couple binational peut compter sur une troisième colocataire, Maya, leur chienne de six mois. « C’est elle qui rythme nos journées. Sortir le chien est un bon prétexte pour faire quelques pas dans la montagne », souligne la fière propriétaire de Maya.

« On se chauffe surtout avec le feu au charbon. J’évite au maximum d’utiliser le gaz, hormis pour le chauffe-eau. Même si nous ne payons pas les charges, je ne veux pas alourdir la facture de Jo’. D’autant plus que l’on doit chauffer toutes les chambres pour éviter les moisissures. La peinture a été refaite il y a moins d’un an », ironise-t-elle.

Clara, Mark et Maya se sont habitués à leur quotidien en isolement, mais ils pourraient partir très bientôt. « On voit au jour le jour, on ne sait pas comment cela va évoluer. En parallèle, je suis sur le point de monter mon entreprise dans l’alimentaire, c’est une reconversion totale. Confinée et sans devoir payer de loyer, ça a été plus facile », conclut Clara. Elle se voit emménager à Inverness, « la capitale des Highlands ». Laissant derrière elle Fort William, « capitale britannique des sports d’extérieur », à une époque où rester à l’intérieur est devenu la norme.