Les vendeurs français changent leur rapport avec les acheteurs pour lutter contre l’augmentation des vols à l’étalage. Un seul mot d’ordre : méfiance.

Un œil sur la caisse, l’autre sur les caméras. Derrière les sourires, formules de politesse et conseils avisés, les petits commerçants guettent les faux clients. Ces pilleurs amateurs ou professionnels, qui laissent un trou dans l’inventaire du magasin, et par la même occasion dans le chiffre d’affaires. Des pertes difficiles à assumer dans le contexte économique actuel : cela équivaudrait à une « taxe » annuelle de 200 euros par foyer français, selon le baromètre du vol dans le commerce et la distribution 2011 de la société Checkpoint Systems.
Gérer un commerce de proximité devient une tâche complexe. A l’heure où les consommateurs se serrent la ceinture, les vendeurs aiguisent leur sens de l’observation. Le moyen le plus sûr : installer des caméras de surveillance. « Tout ce qu’on me vole sort de ma poche, explique la gérante d’un petit Casino dans le centre de Metz. Et c’est moi qui paie le matériel. Je dois être très vigilante. » Dans sa boutique, tout en longueur, elle jette des coups d’œil réguliers sur les caméras. Tous les clients sont des pilleurs potentiels. Le système n’est pas infaillible, même s’il est dissuasif. Il permet aussi aux commerçants de reconnaitre les voleurs à leur attitude, car ces derniers cherchent les caméras du regard. « Un jour, j’ai remarqué l’attitude étrange de deux jeunes femmes avec une poussette. Elles sont sorties sans achat, mais mon mari s’est aperçu qu’il manquait des produits. Il leur a couru après, les a menacées d’appeler la police. Et il est revenu les bras chargés d’une dizaine de boîtes de crabe haut de gamme. »

« Je ne vais pas me compromettre pour du banal »

Car ce sont bien les produits coûteux qui sont les plus prisés des voleurs. Elise, jeune étudiante habituée de ces fauches, nous confie qu’elle n’a aucun scrupule à voler ce qu’elle ne peut pas se payer. « Au début c’était surtout du maquillage, des shampoings, des produits pour le corps. C’était vraiment en cas de besoin, que ce soit pour moi ou des amis. Ce genre d’articles est indispensable mais excessivement cher. » Elle se fait attraper quelques rares fois, mais ne rencontre aucun problème avec la police. Elle doit seulement payer ce qu’elle avait l’intention de dérober. Ce laxisme la pousse à poursuivre dans cette voie, en prenant certaines précautions : « Une fois démasquée dans une enseigne, je ne me risque plus à y retourner, ils te reconnaissent et en situation de récidive, ils sont bien moins souples ». Confiante, Elise passe à l’étape supérieure. Après les produits d’hygiène et de beauté, elle s’attaque aux denrées alimentaires. Sa cible privilégiée : les produits de luxe, dont elle revend une partie. « Pour ce qui est de la nourriture, je ne vais pas me compromettre pour du banal, je tape haut. A Noël je me sers beaucoup en foie gras par exemple. Ça se revend très bien. »
Face aux pertes financières dues aux larcins et aux investissements dans des systèmes de sécurité, les commerçants cherchent une alternative. Ils compensent les dégâts en augmentant leurs prix, et provoquent ainsi une recrudescence des vols. Une situation qui renforce le cercle vicieux généré par la crise économique.