34 000. C’est le nombre de cartes de presse qui ont été délivrées en France en 2023. Pourtant, des journalistes sont encore privés de carte de presse. Alors que certains dénoncent ce manque de reconnaissance, des discussions ont lieu pour faire évoluer le dispositif. Aux Assises de Journalisme de Tours, la conférence du mercredi 27 mars 2024 a donné lieu à un débat entre ces différents acteurs au sujet de la carte de presse. Zoom sur ce système controversé.

En janvier 2024, 200 journalistes, dont 40 détenteurs du prix Albert Londres, signent une tribune dans Télérama. Ils remettent en cause les conditions d’obtention de la carte de presse, attribuée selon eux « par une instance qui se fonde sur une loi qui ne reflète plus la réalité du journalisme actuel ». En effet, aujourd’hui, près de 4 000 journalistes ne disposent pas du précieux sésame délivré par la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes professionnels (CCIJP). Ces recalés de la carte de presse réclament « une évolution du mode d’attribution de la carte de presse » et plaident « pour que la nature journalistique de notre travail soit un critère déterminant pour l’obtenir ». 

Retour sur la carte de presse

Les journalistes français peuvent, depuis 1935, demander l’obtention d’une carte de presse. C’est un véritable sésame d’accès à de nombreux lieux culturels (notamment les monuments nationaux) mais aussi le gage d’une légitimité pour ces professionnels de l’information. La carte de presse permet également aux journalistes de bénéficier de droits sociaux grâce à leur statut de professionnel, créé par la Loi Brachard. Clause de conscience, clause de cession et obtention d’un mois de salaire par année d’ancienneté en cas de licenciement sont quelques exemples de ces droits. 

N’importe qui peut exercer des activités journalistiques, mais seuls les détenteurs de la carte de presse sont reconnus en tant que journalistes de profession. 

Catherine Lozac’h, présidente de la Commission de la Carte d’Identité des journalistes professionnels (CCIJP), était présente lors de la conférence. Selon elle, la commission est représentative de la profession en elle-même. « Qui examine cela ? Ce sont des journalistes en activité et des employeurs de journalistes », précise-t-elle. « On est là pour dire qui est un journaliste professionnel ou non, pas si c’est un bon ou mauvais journaliste », insiste Catherine Lozac’h. 

Catherine Lozac’h revient sur son rôle au sein de la CCIJP – Photo : Loris Jecko

Comment font les journalistes pour obtenir ce Saint Graal ? Il faut que les tâches réalisées par le demandeur soient majoritairement journalistiques, que cela représente l’occupation « principale, régulière et rétribuée », et que ce soit la principale source de revenus. Le demandeur doit remplir ces conditions durant trois mois consécutifs lors de la première demande, puis sur un an pour le renouvellement de la carte. 

Pourquoi la carte de presse est-elle si importante du point de vue des journalistes ? Pour Bénédicte Wautelet, vice-présidente de la CCIJP, les accréditations sont plus simples à obtenir grâce à la carte de presse et elle accorde des droits non négligeables dans la profession. Toutefois, tous les journalistes n’y ont pas accès, et dénoncent donc cet écart en termes de droits.

Un système défaillant ?

Environ 4 000 journalistes n’ont pas la carte de presse. Les correspondants qui sont à l’étranger n’y ont pas toujours accès, alors qu’ils disposent de la Carte de Presse Internationale (CPI). Celle-ci n’est pas reconnue par la France. Les syndicats de journalistes professionnels ont fait des études sur les situations des correspondants à l’étranger. « Actuellement entre 400 et 500 correspondants  à l’étranger sont payés en salaires (CDI ou piges). Ils sont titulaires d’une carte de presse, ce qui leur donne une forme de protection mais ils restent en grande précarité sociale », explique Catherine Lozac’h. 

En janvier 2024, une tribune est publiée dans Télérama. Les 200 journalistes signataires y dénoncent un mode d’attribution « qui ne reflète plus la réalité du journalisme actuel ». Par ailleurs, il ne suffit pas non plus d’être un journaliste primé pour avoir la carte de presse. 40% des titulaires du prix Albert Londres ne l’ont pas.

Mais ils ne sont pas les seuls à être mis de côté. « Les photojournalistes, documentaristes, producteurs de radio et ceux qui travaillent dans l’édition ne sont pas toujours reconnus, comme les pigistes qui gagnent pas suffisamment », explique Jacqueline Papet, présidente de la section journaliste de la CPNEF (Commission Paritaire Nationale Emploi Formation) audiovisuelle. « Vous êtes au programme mais vous ne faites pas partie d’une rédaction, vous n’avez pas droit à la carte de presse, alors que vous faites le même boulot que les autres », ajoute-t-elle. 

Certains journalistes tentent de déroger à la règle, malgré tout. « Certains doivent faire des fausses cartes pour se protéger dans d’autres pays, tels que la Syrie. Anne Poiret s’est permis de faire une fausse carte pour se protéger », confie Stéphane Joseph, directeur de la communication de la Société civile des auteurs multimédias (SCAM). Propos confirmés par les signataires de la tribune, qui déplorent qu’« une partie des journalistes travaillant pour des médias publics ou privés doivent se procurer de fausses cartes de presse pour assurer leur mission ». 

La Scam propose d’objectiver des conditions strictes dans un second couloir, selon son directeur Hervé Rony. Pour lui, il suffirait « d’avoir manifesté des activités à caractère journalistique pendant 2 ans et d’en avoir tiré la majorité de ses ressources. » Cette seconde carte ne serait pas une réplique de la carte de presse : « il n’est pas question de dire aux gens qu’ils sont journalistes sans raison », assure-t-il. 

Un débat houleux au sein de la profession

Changer les critères d’obtention de la carte de presse, c’est un débat qui date. Catherine Lozac’h est contre une évolution : « Nous ne souhaitons pas l’ubérisation du métier journalistique », affirme-t-elle, bien qu’elle reconnaisse l’existence d’un « vide juridique » en ce qui concerne les correspondants à l’étranger. Même un prix Albert Londres ne suffirait pas, selon elle, à recevoir la carte de presse. « On ne juge pas le contenu mais la réalité de l’exercice de la profession d’une personne pour une année déterminée. Nous ne portons pas de jugement de valeur ». Ce n’est pas l’avis de Stéphane Joseph. Selon lui, les journalistes auteurs sont des journalistes et ont pourtant du mal à l’obtenir. Ne pas leur donner la carte, « c’est leur nier le rôle de journaliste, alors qu’ils le sont viscéralement ». Sur ce sujet, il est rejoint par Jacqueline Papet : « On laisse sur le bord de la route un certain nombre de journalistes, notamment dans l’audiovisuel. Vous êtes au programme mais vous ne faites pas partie d’une rédaction, alors que vous faites le même boulot. »

Les intervenants réagissent à tour de rôle dans le débat – Photo : Loris Jecko

Débat houleux, yeux écarquillés et soupirs dans la salle. C’est une question cruciale. Ne pas avoir la carte de presse, c’est passer à côté de nombreux avantages et de droits fondamentaux pour la profession. 

Un journaliste pigiste faisant partie du Syndicat National des Journalistes (SNJ) dénonce quant à lui “les pratiques d’employeurs voyous” qui ne remplissent pas les conditions de paiement de la pige. D’après lui, certains d’entre eux feraient même partie de la Commission de la Carte de Presse. 

Carte ou pas, pour Pierre Ganz, ce qui intéresse le public c’est d’obtenir « une information fiable ». Selon lui, ce qu’il faut, c’est un « conseil d’autorégulation auquel les journalistes peuvent adhérer, car le respect de la déontologie est le fondement du métier ». 

Le débat continue de diviser les journalistes, entre les encartés et ceux qui se sentent laissés pour compte. L’objectif, à terme, est de trouver un compromis entre les différentes organisations.

Marie Luthringer – Claire Thery – Loris Jecko