L’Art Déco nancéien expliqué par Alexandre Miot

Nancy compte parmi les villes européennes marquées par cette architecture arrivée dans les années 20. Cette année, elle en fête les cent ans: Jardin ephémère, Saint-Nicolas ou encore des expositions.

Doctorant en histoire de l’art à L’Université de Lorraine, Alexandre Miot consacre ses recherches aux arts décoratifs de l’entre-deux-guerres.

A la bibliothèque universitaire de la fac de lettres de Nancy, dans le département d’histoire, Alexandre Miot est dans son élément. Passionné et précis, il évoque une architecture qui passe souvent inaperçue, mais qui façonne pourtant de nombreux quartiers nancéiens. Son mémoire portait sur le Pavillon présenté par Nancy et l’Est de la France à lExposition Internationale des arts décoratifs de Paris en 1925, évènement qui popularise le style et dont on fête cette année les cent ans.

SELON VOUS, COMMENT L’ART DÉCO S’EST IMPOSÉ À NANCY ?

Nancy n’est pas une ville avec un contexte particulier pour se voir faire construire des bâtiments Art Déco.

Les années 1920-1930 marquent l’émergence de ce style (qui ne s’appelait pas Art Déco à cette époque) notamment avec l’exposition de 1925. A Nancy, plusieurs artistes et architectes, jusque-là tournés vers l’Art Nouveau, adoptent peu à peu cette nouvelle esthétique. Cela entraîne un véritable développement des constructions Art Déco.

QUELLE PLACE OCCUPE NANCY DANS LA DIFFUSION DE CE MOUVEMENT ?

L’entre-deux guerres est une période de forte activité : environ 6 600 bâtiments sont construits à Nancy, dont 1500identifiés comme Art Déco.

La ville bénéficie d’un contexte industriel et commercial favorable, comme beaucoup d’autres villes européennes. Il y a aussi un contexte du logement très important, ce qui explique que beaucoup d’édifices sont des habitations.

La Villa Bonnabel ou la Cité Monbois en sont de très bons exemples.

DANS VOS RECHERCHES, QUELS SONT LES DÉTAILS AUXQUELS VOUS VOUS INTÉRESSEZ ?

Je me suis beaucoup focalisé sur ce Pavillon que j’ai étudié pour mon mémoire, qui a conclu ma formation d’histoire de l’art. Mais je m’intéresse surtout aux personnalités impliquées dans sa conception et aux objets décoratifs comme la verrerie ou le mobilier.

Aujourd’hui, je travaille plus sur la verrerie et un artiste en particulier. Pour moi, l’intérêt principal du patrimoine Art Déco nancéien réside dans ses décors : mosaïques, sculptures, bas-reliefs.

QUELS ÉLÉMENTS ARCHITECTURAUX PERMETTENT DE RECONNAÎTRE L’ART DÉCO ?

Plutôt que des traits architecturaux propres à Nancy, ce sont des personnalités dont on reconnaît le style:

  • Pierre Le Bourgeois, architecte de l’ancien siège de l’Est Républicain avant la Première Guerre mondiale, qui réalise dans les années 20 plusieurs bâtiments emblématiques du centre-ville : Les Magasins Réunis(actuel Printemps- Fnac), la pharmacie du Point central, le palais de la bière.
  • Jean Bourgon, qui a beaucoup travaillé pour l’université de Lorraine : Cité Monbois, Institut DentaireFaculté de pharmacie

On retrouve donc une empreinte de ces architectes, qui ont notamment réalisé le Pavillon de Nancy à l’Exposition de 1925. C’est un noyau de figures locales qui, en passant par l’exposition, s’initient à cette nouvelle tendance décorative, et qui va en profiter pour la développer dans la ville de Nancy.

EST-CE-QUE CES DÉTAILS REFLÈTENT D’UNE VISION OU D’UNE CERTAINE ÉPOQUE ?

L’Art Déco à Nancy reflète une véritable culture du loisir. On le voit dans les cafés (Excelsior), dans le Passage Bleu, le Cinéma Caméo Commanderie des années 1930. Les décors témoignent de l’importance croissante des lieux de sociabilité et de divertissement.

Le style s’exprime aussi dans l’industrie comme Siège de la Société des Hauts-Fournaux et fonderies de Pont-à-Mousson. Certains industriels se sont fait construire leur maison dans un style Art Déco, à côté de leur entreprise. C’est le cas de la Villa Bonnabel, son propriétaire avait une usine de biscuits à proximité.

PENSEZ-VOUS QU’AUJOURD’HUI L’ART DÉCO EST RECONNU À SA JUSTE VALEUR ?

Cela ne fait qu’une dizaine d’années qu’on commence à voir des expositions et des travaux sur la question. A Nancy, on a quand même un travail important que j’aimerais souligner qui est celui de Gilles Marseille. Il a beaucoup travaillé sur l’architecture de l’entre-deux guerres et a recensé tout ce patrimoine construit à cette période.

Avec l’évènement Métrofolies ont peut espérer qu’il y ait une poursuite concrète à toute cette patrimonialisation de l’Art Déco et qui aille au-delà de ces bâtiments emblématiques qu’on connaît. Cela permet de valoriser des bâtiments qui restent des témoignages de la crise du logement qu’il y avait en France dans les années 1920-30.

AUJOURD’HUI, COMMENT CE PATRIMOINE EST-IL PRÉSERVÉ ?

Certains bâtiments emblématiques sont protégés, comme le siège de Pont-à-Mousson, ainsi que ses vitraux, réalisés par Jacques Gruber.

La difficulté concerne aujourd’hui les logements privés, qui restent à la merci des propriétaires. Ils ont tendance à repeindre les façades dans des tons jaunes ou orangés, très associés à l’imaginaire des années 1930, mais éloignés des teintes grises ou sombres d’origine. Le style revient à la mode, mais cette tendance ne reflète pas toujours la réalité historique.

QUE PEUT ENCORE NOUS APPRENDRE L’ART DÉCO SUR NOTRE RAPPORT À LA VILLE, À LA MODERNITÉ ?

A Nancy spécifiquement, l’Art Déco raconte d’abord la reconstruction d’après-guerre.

Mais il éclaire aussi l’évolution du tissu urbain, on peut imaginer que dans trente ans on célèbrera le centenaire des Trente Glorieuses, le quartier de la gare deviendra un enjeu patrimonial à son tour. Les styles se superposent : l’Excelsior, par exemple, construit à l’époque de l’Art Nouveau, reçoit une extension Art Déco dans les années 1930 puis des transformations dans les années 1970.

L’Art Déco nous permet de comprendre l’expansion de la ville : Nancy s’agrandit énormément dans les années 1920-1930. Comme à la frontière avec Vandoeuvre, Villers ou Laxou, on trouve des rues entières bâties durant cette période. Elles témoignent de l’évolution urbaine de toute l’agglomération.