Jeudi 4 décembre, l’université de Lorraine à Metz a reçu Valeria Ratnikova. Journaliste russe exilée aux Pays-Bas, elle travaille depuis six ans pour Dojd, la première chaîne russe ayant choisi la diffusion en ligne pour contourner le contrôle de l’État sur les fréquences télévisées. Pendant deux heures, les étudiant·es du master de journalisme et de la licence information et communication ont échangé avec elle.

Il est 16h30, les étudiant·es du Master de journalisme, et de licence Information-Communication s’installent progressivement dans l’amphithéâtre Demange de l’université de Lorraine à Metz. 

Dans le bâtiment des Sciences humaines et sociales, l’ambiance est joviale, les échanges entre étudiant·es sont vifs, comme s’il fallait relâcher la pression avant d’aborder un sujet aussi important que l’état de la liberté de la presse en Russie. 

Valeria se place derrière le bureau de l’amphithéâtre face aux étudiant·es dispersé·es dans les gradins. Le silence l’escorte à mesure que ses mouvements ralentissent.  À sa gauche se trouve l’initiateur de cette rencontre, l’enseignant-chercheur Vitaly Buduchev. Originaire de Russie, il a consacré une grande partie de ses travaux à la chaîne Dojd. Aujourd’hui, il modère et traduit cette rencontre. La conférence débute par la projection d’un journal télévisé présenté par Valeria en russe sur la chaîne Youtube de Dojd.

A plus de 2 500 kilomètres de l’amphithéâtre, Valeria encourt une peine de 10 ans de prison si elle retourne en Russie. Son activité de journaliste indépendante contre le pouvoir lui vaut même d’être inscrite au registre des personnes considérées comme “terroristes et extrémistes”, explique-t-elle devant des étudiant.es abasourdi·es.

Dojd, la seule chaîne télévisée web indépendante russe

Cette répression de la liberté de la presse n’est pas anecdotique. La chaîne de télévision russe indépendante Dojd a été fondée en 2010 avec la particularité de traiter les faits en contournant la censure étatique. En 2014, les autorités russes ont essayé pour la première fois de fermer le média. Cette exclusion progressive du paysage médiatique se poursuit en 2021, Dojd est qualifiée d’« agent de l’étranger » par le Kremlin.

Fondée en 2010, la chaîne de télévision russe Dodj est indépendante, elle contourne la censure étatique et s’attache aux faits. En mars 2022, les autorités russes ont ordonné le retrait de la chaîne des ondes. Dojd rejoint alors la liste des nombreux médias indépendants russes forcés de cesser leurs activités dans le pays après le déclenchement de la guerre en Ukraine, explique la journaliste russe. Dans le cadre d’une répression menée contre le journalisme, Valéria comme beaucoup de ses confrères et consoeurs se sont vu contraint·es de quitter le pays dans l’impossibilité d’y exercer leur profession en toute liberté. 

Tout comme de nombreuses autres chaînes, Dojd a délocalisé ses activités à l’étranger. La rédaction se déplace d’abord en Géorgie, puis en Lettonie où la chaîne émet pendant près de 6 mois. Au fil de la guerre, la répression s’est accentuée, rendant impossible la diffusion depuis ce pays.  Aujourd’hui installée aux Pays-Bas, la diaspora russe installée à l’étranger continue chaque jour de “sauver” l’information. Ce sont les mots employés par Valéria, on comprend alors très vite la situation critique dans laquelle est plongée l’information en Russie. “Les Pays-Bas nous aident beaucoup avec les papiers, et nous ont soutenus pour construire le studio. Il n’y a pas beaucoup de pays qui nous promettent des choses, c’est pas évident. Ils se sont montrés accueillants”, explique Valéria.

Extrait d’émission de la chaîne Youtube de Dojd

Aujourd’hui, la chaîne Youtube “Телеканал Дождь” (ou Dojd) compte une moyenne régulière de 30 millions de spectateurs par mois avec 4,85 millions d’abonnés. Selon Valeria, l’audience comprend une majorité d’hommes russes de plus de 40 ans, basés au pays, contraints d’utiliser des VPN (réseau privé virtuel) pour pouvoir consulter la chaîne. La répression du gouvernement russe est exercée sur de nombreux sites étrangers, médias indépendants, réseaux sociaux ou plateformes de messagerie. “Les Russes ont appris à utiliser un VPN, c’est devenu commun ” explique Valéria. Certains médias indépendants créent même leur propre VPN face à la menace du blocage de ces réseaux privés virtuels par le gouvernement russe.

Encore aujourd’hui, Dojd continue de traiter l’actualité de la Russie et notamment la guerre en Ukraine. Pour produire leur contenu, les journalistes de la chaîne, exilés, traitent de l’actualité en Russie via des sites d’information sur Telegram ou des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux. Ils font aussi appel à des sources en Russie qui doivent la plupart du temps parler anonymement, car Dojd est considéré comme une organisation indésirable. Les spectateurs de Dojd partagent aussi volontiers des informations sur la Russie.

La chaîne peine à trouver de la publicité et compte beaucoup sur la générosité de ses spectateurs pour survivre.

“La moitié de nos revenus aujourd’hui provient de la publicité, des dons et de la monétisation YouTube. Nous organisons régulièrement des émissions en soutien à Dojd, avec des formats qui motivent les spectateurs à faire plus de dons. L’autre moitié des revenus vient de subventions”, détaille la journaliste, tandis qu’une émission Dojd qui reprend le concept de l’émission “Qui veut gagner des millions” qu’elle présente, est diffusée en fond sur l’écran géant. 

Dans la salle, les étudiants écoutent attentivement Valeria, sans réaliser le parcours qu’elle a traversé pour en arriver là où elle est aujourd’hui.

Nathan MULLER, Clara DUCHOSAL, Lucie MILLET

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