Mise en place en 2016, la nouvelle région Grand Est occupe la 3e place du podium concernant la part de jeunes au sein de son territoire. Entre les dix départements, d’importantes disparités existent. Si certains voient leur jeune population diminuer, d’autres comme le Bas-Rhin, la Moselle et la Meurthe-et-Moselle semblent drainer une grande partie de cette tranche d’âge. Quels sont les facteurs explicatifs d’une répartition si inégale ?    

 

Le Grand Est fait partie des régions les moins attractives de métropole, après l’Île-de-France et les Hauts-de-France”. Un constat bien amer, résultat d’une étude menée par l’Insee entre 2010 et 2015. Sur cinq ans, la population de la région n’a augmenté que de 0,1% (soit 26 500 habitants). La moyenne nationale se situe quant à elle à +0,5%.

Entre 2010 et 2014, la population du Grand Est a diminué dans les départements les moins peuplés (Haute-Marne, Meuse, Ardennes et Vosges). Dans le même temps, elle a augmenté dans les départements qui contenaient déjà le plus grand nombre d’habitants. Certains territoires semblent donc se démarquer et faire davantage preuve d’attractivité. À l’inverse, d’autres sont progressivement délaissés.

Le nombre de jeunes a baissé entre 2010 et 2014 dans le Grand Est et leur répartition apparaît comme très inégale. Près de 55% des jeunes sont répartis entre le Bas-Rhin, la Moselle et la Meurthe-et-Moselle. Néanmoins, ces mêmes départements sont aussi les plus peuplés de la région avec 52,5% de la population totale du Grand Est.

Zoom sur la mobilité

En 2014, la part des sortants du Grand Est dépasse presque systématiquement celle des entrants. Autrement dit, plus de personnes ont quitté la région que l’inverse. Seuls les 18-21 ans sont plus nombreux à entrer qu’à sortir du Grand Est. La région attirerait pour ses pôles universitaires, mais ne parviendrait pas à retenir ces jeunes après leurs études. Une hypothèse d’autant plus plausible que le pic de sortants est à 24 ans, âge moyen pour la fin du cycle universitaire.

La tendance se confirme lorsque l’on isole les données du Bas-Rhin, de la Marne et de la Meurthe-et-Moselle, comme indiqué par l’Insee. Pour la population âgée de 18 à 24 ans, ces départements accueillent bien plus d’habitants qu’ils n’en perdent, tandis que l’exact opposé se produit dans le reste de la région. Ces trois territoires seraient donc plus attractifs pour les jeunes que le reste du Grand Est.

Le résultat n’étonne pas Olivier Studer, collaborateur des élus de la majorité régionale du Grand Est. Il note que les départements comme le Bas-Rhin dépassent le million d’habitants. “Ce poids démographique important génère une activité économique et une dynamique qui attirent les jeunes, indique-t-il. Concernant la Meurthe-et-Moselle, elle bénéficie d’une forte attractivité universitaire et de la dynamique du sillon lorrain.”

Autre facteur à prendre en compte quand il s’agit de mobilité, les transports. “Un territoire bien desservi est forcément plus accessible et donc plus attractif qu’un autre, explique Olivier Studer. La fusion des régions a permis d’avoir une seule et unique tarification pour tous les trains régionaux dans le Grand Est. Aujourd’hui, il est plus facile et moins cher de se déplacer de Strasbourg à Metz ou de Nancy à Reims par exemple.” Rejoindre les capitales du Bas-Rhin, de la Moselle et de la Meurthe-et-Moselle est aujourd’hui moins coûteux. Ce n’est pas anodin, ces zones sont les plus plébiscités par les étudiants.

Les étudiants se concentrent dans quatre grands pôles

Sur l’année scolaire 2013-2014, 8% des étudiants français, soit 190 000 personnes, ont poursuivi leur formation dans le Grand Est. Au sein de ce territoire, des disparités s’observent d’un département à l’autre. Le Bas-Rhin semble être le plus attractif en comptabilisant à lui seul près d’un tiers des étudiants, suivi de la Meurthe-et-Moselle  (25%), de la Marne (16%) et de la Moselle (13%). Des chiffres qui concordent avec ceux de la mobilité et qui expliqueraient, en partie, pourquoi ces départements attirent davantage les jeunes.

À une échelle départementale, les études supérieures se concentrent sur des zones très localisées. Quatre pôles se distinguent avec les agglomérations de Strasbourg, Reims, Nancy et Metz. La capitale du Bas-Rhin est largement en tête avec 30% des étudiants de la région.

En se focalisant sur ces grandes villes et leurs agglomérations, une tendance se dégage pour Metz et Nancy. En périphérie de la capitale de Meurthe-et-Moselle, il y a de plus en plus d’établissements du supérieur. En 2001, le nombre d’étudiants hors centre-ville représentait 34% des effectifs contre 37% en 2014.

La diversité des formations proposées contribue à rendre ces pôles plus attractifs, mais pas seulement. Comme l’explique Olivier Studer, chaque site possède sa singularité : “Strasbourg a une spécificité liée à l’Europe compte tenu de son statut de Capitale Européenne, mais est aussi très reconnue dans le domaine de la Santé et de la chimie. Nancy est un des plus importants sites de formation d’ingénieurs de France, et Metz accueille le seul campus en France de l’université américaine Georgia Tech. Enfin, le site de Reims s’est spécialisé autour de la bioéconomie”. Dans le reste de la région, il existe aussi des formations spécialisées : “Il y en a en effet qui se développent en cohérence avec les réalités et niches locales, comme la fabrication additive à Charleville-Mézières, la méthanisation à Bar-Le-Duc, le textile à Mulhouse”, nous confirme le collaborateur des élus.

Leur diplôme en poche, les étudiants sont plus mobiles au moment de chercher un premier emploi. Le phénomène s’accentue avec le temps : “il est beaucoup plus mobile qu’il ne l’était il y a 30 ans”, souligne Olivier Studer. Une tendance qui ne se généralise pas sur l’ensemble de la carrière. “Un jeune peut très bien partir pendant quelques années puis revenir et vice-versa”.

Les jeunes davantage attirés par le tertiaire

Entre 2007 et 2015, la crise et la hausse du chômage n’épargnent aucune région de France. C’est donc sans surprise que le taux d’emploi des 15-24 ans chute largement, dans tous les départements du Grand-Est. Seule la Haute-Marne reste à peu près stable, avec une baisse de 1,09%.

La Meurthe-et-Moselle est le département du Grand Est qui emploie le moins de jeunes puisqu’elle affiche en 2015, un taux d’emploi à seulement 26,9%. Respectivement, le Bas-Rhin et la Moselle se classent au 4e et 6e sur dix au niveau régional. Si les jeunes actifs semblent trouver du travail au sein de ces deux départements, il est rare qu’ils soient recrutés en Meurthe-et-Moselle. Pourtant, comme précisé plus haut, les trois départements concentrent à eux seuls la moitié des jeunes du Grand Est.

Ces écarts peuvent être partiellement expliqués par la diversité des postes proposés dans chaque département. Olivier Studer confirme que certains secteurs ont davantage de succès auprès des jeunes, alors que d’autres sont largement délaissés. “Certaines entreprises peinent à recruter alors que le chômage reste à un niveau élevé. Il y a donc un véritable déficit d’attractivité dans certains secteurs vers lesquels les jeunes ne se dirigent pas spontanément. C’est un enjeu majeur sur lequel les régions vont avoir un rôle important à jouer dans le contexte d’évolution des rôles concernant l’orientation.”

Concernant le secteur de l’agriculture, les offres d’emploi sont rares dans les trois départements sélectionnés. Selon l’Insee, la part de ces actifs parmi les CSP (Catégorie Socio-professionnelle des actifs) est très faible avec seulement 0,63% d’agriculteurs dans le Bas-Rhin, 0,62% en Moselle et 0,77% en Meurthe-et-Moselle (2014). Alors que dans le reste des départements, la moyenne se situe à 2,3%. Ce constat s’explique par une très faible présence des exploitations agricoles, inférieure à la moyenne nationale et à tous les autres départements du Grand Est.

Si les jeunes s’installent dans ces trois départements, ce n’est donc pas parce qu’ils souhaitent devenir agriculteur. Puisqu’ils sont peu nombreux dans les autres départements, on peut donc en conclure que le domaine de l’agriculture n’attire pas particulièrement les jeunes.

D’une manière générale, on retrouve beaucoup moins de travailleurs dans les secteurs primaire et secondaire au sein des trois départements. A l’inverse, pour le secteur tertiaire, le Bas-Rhin, la Moselle et la Meurthe-et-Moselle sont constamment en tête avec une forte présence de cadres, des professions intermédiaires et des employés.

Cet attrait pour le trio, pourrait s’expliquer par la présence de postes plus qualifiés et donc plus attractifs pour les jeunes diplômés du supérieur.

L’apprentissage peut également être un facteur indicatif de l’attractivité de ces territoires auprès des jeunes.  

Au sein de la région, ces contrats séduisent près de 38 500 jeunes (2016). Ces effectifs permettent au Grand Est d’occuper la 3ème place du podium national. On remarque que les trois quarts des contrats sont signés dans quatre départements sur dix. Le Bas-Rhin regroupe un vivier important d’apprentis (5 358 contrats), tout comme la Moselle (3 447 contrats), le Haut-Rhin (3 385 contrats) ou encore la Meurthe-et-Moselle (2 526 contrats). Les villes de Metz, Strasbourg et Nancy représentent des pôles de recrutement importants.  

Les spécialisations d’apprentissage les plus prisées en 2015 concernent la restauration et les métiers de l’alimentaire. En Moselle et Meurthe-et-Moselle, la tendance est aux boulangers ou vendeurs en produits alimentaires. Les jeunes du Bas-Rhin préféreront les métiers de la restauration comme cuisinier ou chef de rang.

Les départements à proximité des pays limitrophes sont plus attractifs

Tous les jours, 159 000 personnes (2012) traversent la frontière française pour travailler en Belgique, au Luxembourg, en Allemagne ou en Suisse. La proximité avec d’autres pays permet d’attirer les jeunes dans certains départements du Grand Est. La région rassemble 44% de l’ensemble des navetteurs. Ils vivent en France, mais travaillent à l’étranger.

La Belgique est le pays où les jeunes se dirigent le plus. Un quart des travailleurs frontaliers a entre 15 et 29 ans. Le plus souvent, les personnes sont des ouvriers (qualifiés ou non) ou appartiennent à la catégorie des professions intermédiaires. En 2012, sur les 69 000 travailleurs qui franchissent tous les jours la frontière luxembourgeoise, 20% sont des jeunes. Là encore, la majorité des personnes travaillant au Luxembourg exercent une profession intermédiaire. Le secteur des services aux entreprises y est fortement représenté avec 57% des navetteurs luxembourgeois travaillant dans ce domaine. Les emplois dans la finance et l’assurance sont eux aussi surreprésentés au Grand-Duché.

D’autres, choisissent de se tourner vers l’Allemagne pour effectuer leur apprentissage. Leurs motivations ?Quand on discute avec eux, c’est souvent l’opportunité de trouver un emploi stable et un bon salaire” nous explique Sophie Iffrig, doctorante en sociologie. Elle travaille elle-même sur un dispositif de mobilité pour l’apprentissage transfrontalier en Alsace. Pour Sophie Iffrig, plusieurs raisons expliquent l’attirance des jeunes pour ce pays : “Cela peut être la possibilité de trouver une entreprise dans des cas où les personnes ne sont pas acceptées en France. Sur certaines régions d’Allemagne, cela vous double le nombre d’entreprises. De plus, en France, quand vous faites un apprentissage, plus vous êtes âgés et plus vous coûtez cher à l’entreprise. Alors qu’en Allemagne, ce n’est pas le cas.” Il s’agit donc d’un bon moyen de se réinsérer sur le marché du travail après une réorientation. Les profils peuvent être assez atypiques, comme nous le décrit Sophie Iffrig : “Il va y avoir une surreprésentation des étudiants au niveau master, des étudiants qui ont déjà fait des études et qui sont mobiles”.

Le phénomène inverse n’existe pas. Peu de jeunes allemands s’installent dans l’hexagone afin d’y poursuivre leur apprentissage : “Depuis 2013, il y a environ trois cents contrats qui ont été signés de la France vers l’Allemagne, alors que dans le cas inverse, vous avez une dizaine de cas”, confirme-t-elle.

 

En définitive, on distingue trois principales raisons pour lesquelles le Bas-Rhin, la Moselle et la Meurthe-et-Moselle attirent plus les jeunes que les autres départements du Grand Est. L’offre universitaire et d’enseignement supérieur y est tout d’abord très importante, notamment au niveau des trois pôles particulièrement attractifs que sont Strasbourg, Nancy et Metz. Les établissements s’étendent même de plus en plus jusqu’en périphérie de ces villes. Ils ont chacun leurs propres singularités. Le marché du travail est également sujet aux disparités. Les trois départements ciblés regroupent les emplois les plus qualifiés, qui semblent attirer les jeunes diplômés. Avec le Haut-Rhin, c’est aussi dans ces territoires que sont signés le plus grand nombre de contrats d’apprentissage (le Grand Est est d’ailleurs 3e au niveau national), avec une spécialisation dans la restauration et les métiers alimentaires. La situation géographique de ces départements est également un facteur d’attractivité auprès des jeunes. Situés au plus près des frontières de la Belgique, du Luxembourg et de l’Allemagne, ils regroupent un grand nombre de travailleurs et apprentis transfrontaliers.


MÉTHODOLOGIE

Nous nous sommes appuyés sur la catégorie des 15-29 ans pour parler des “jeunes”, car cette typologie est utilisée par nombre d’instituts. Pour autant, nous avons parfois dû composer avec des études portant sur des tranches d’âge différentes selon les données explorées.

Nous avons choisi de mesurer l’attractivité des trois départements qui drainent le plus de jeunes : le Bas-Rhin, la Meurthe-et-Moselle et la Moselle. Pour cela nous avons décidé de nous baser sur quatre facteurs : la population étudiante, les apprentis, les jeunes actifs et les transfrontaliers. Pour la population étudiante, nous nous sommes concentrés sur l’offre en matière de formations dans le supérieur. Les chiffres des étudiants comprennent ceux des établissements publics et privés (universités, écoles d’ingénieurs, etc) pour l’année universitaire 2013/2014. En ce qui concerne les apprentis, nous nous sommes focalisés sur le type d’activité dans lequel ils exercent. Pour les actifs, nous nous sommes attardés sur le taux d’emploi pour connaître les territoires favorables aux jeunes. Enfin, pour les transfrontaliers, nous avons étudié leur destination et leur secteur d’activité.

Sources utilisées :

  • Recensement de la population, INSEE : 2010, 2012, 2014
  • Données sur l’emploi, Insee, comparateur de territoire par rapport au Bas-Rhin
  • DARES : Emploi et Chômage
  • OREF
  • Ministère de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation
  • CERÉQ (Centre d’études et de recherches sur les qualifications)

Angélique Toscano, Caroline Alonso, Orlane Jézéquélou, Émilie Nguyen, Alexis Zema & Valentin Langard