« Passez cette porte, vous serez en 2052. C’est arrivé demain. » A l’aube d’une nouvelle ère, l’art a quasiment disparu. Menacé de censure, il est traqué et détruit. Heureusement, le centre Pompidou Metz a pu conserver 80 œuvres, issues de grandes collections, avant qu’elles ne filent vers l’anéantissement. Voilà un catalogue artistique de notre temps, exposé jusqu’au 27 mars, qui toujours incite à réfléchir : au fil du parcours, vous vous interrogez. Quel est le rôle de l’art ? Pourquoi se battre si farouchement pour le sauvegarder ? Vous êtes toujours au centre-ville de Metz, et pourtant votre corps a déjà parcouru le temps pour s’affranchir des 40 prochaines années. 

Encore ébloui par la blancheur des couloirs du centre Pompidou, vous pénétrez dans une pièce sombre, à peine éclairée. Les murs sont noirs et les lumières tamisées. A mesure que vos yeux s’habituent à l’obscurité, vous découvrez ce nouveau monde qui vous a déjà adopté. Sur votre droite, une pile de journaux se prête à l’emprunt. Au mur, un écran retransmet, inlassablement, cette scène de Fahrenheit 451 dans laquelle une femme décide de s’immoler dans un tombeau de littérature. La dystopie de Ray Bradbury semble omniprésente, et en distinguez de nombreuses citations inscrites le long des murs. Que disait ce panneau à l’entrée, déjà ? « 2052. Et si l’art disparaissait ? »

Comme guidés par une curiosité insatiable, vos pas vous mènent à une petite valise. Ouverte, elle exhibe ses entrailles à la vue de tous : c’est le musée portatif de Marcel Duchamp, qui accueille en son sein la réduction des œuvres favorites de son créateur. Une façon ingénieuse de conserver l’art en le rendant nomade.

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Vous changez de pièce et tombez nez-à-nez avec ce qui vous semble être une banale photo de vacances. Un coup d’œil à l’écriteau vous explique qu’il s’agit de l’oeuvre de Martin Parr, pour qui « la plupart des images que nous consommons sont de la propagande ». Puisque le rôle de la photo est pour lui d’exagérer le monde qu’elle immortalise, ses clichés mettent l’accent sur le vrai et le trivial, loin des canons de la mode. Après tout, « dans les livres de cuisine, la nourriture a toujours l’air fantastique, ne trouvez-vous pas ? »

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Au détour d’un couloir, Victor Grippo compare une pomme de terre à la conscience humaine. L’une peut émettre un signal électrique si on la branche à un voltmètre ; l’autre peut, par une utilisation non-conventionnelle, « accroître sa conscience de l’énergie ». Ou comment transcender la pensée humaine en faisant sortir sa réflexion des gonds qu’on lui impose.

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Il est une oeuvre qui a déjà résidé entre les murs du centre Pompidou Metz : la célèbre Merde d’Artiste de Piero Manzoni qui, encore et toujours, se moque du culte de l’artiste tout puissant.

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L’exposition est terminée ; mais avant de retourner à votre quotidien, vous traversez une dernière salle. On vous y invite à dessiner, sur de petits cartons, une ou plusieurs œuvres contemplées au fil de votre voyage. Tous ces témoignages sont ensuite empilés les uns sur les autre, formant des tours de papier aux airs de mémorial. Malgré la censure de 2052, ici, ces étranges structures veillent pour toujours sur la mémoire de l’art.

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Vous voilà revenu en 2017. Vous vous êtes interrogé sur la conscience humaine et les moyens de conserver l’art des affres du temps. Vous avez vous-même participé à l’effort de mémoire en ajoutant votre pierre à l’édifice du souvenir, comme le font les sages de Fahrenheit 451 en mémorisant les livres par cœur. Vous avez contemplé des œuvres, avez arpenté des couloirs aux allures de temples solennels. Maintenant, vous avez envie de relire Ray Bradbury.