Pierre Winicki, fondateur de l’Institut Confiances, explique la montée du FN, confirmée lors des dernières élections départementales, par l’existence d’un sentiment de défiance généralisée au sein de la société française. Il a mis en avant 7 facteurs constitutifs de la confiance déficitaires dans l’hexagone et souhaite instaurer la confiance comme rempart contre la violence et l’extrémisme. 

C’est une encre couleur bleu marine qui noircissait les pages des journaux ces dernières semaines. Journalistes et politiques partageaient une même inquiétude : le score du Front National aux élections départementales. Le parti de Marine Lepen ne ressort pas des urnes comme la première formation politique de France. Il ne remporte même aucun département. Pourtant, la montée du Front National semble bien elle indélébile. « En une semaine, le FN a remporté deux fois plus de cantons que dans toute son histoire » titre Slate. La flamme bleu marine a emporté 62 sièges et dépassé son score aux élections européennes, avec 25 % des voies à l’échelle nationale. Pour Pierre Winicki, Président de l’Institut Confiances, un organisme de réflexion et de conseil sur la question de la confiance, le radicalisme est le symptôme d’un climat de défiance global au sein de notre société.

Le meilleur rempart contre le vote extrême c’est de travailler sur la confiance. Pierre Winicki

Quels sont les signes visibles du sentiment de défiance dans la société française ?

Pierre Winicki : Le plus marquant de tous c’est la montée du Front National. Je suis de plus en plus convaincu que les formes de radicalisme sont liées à une défiance considérable de certains individus dans la société. Sans confiance, une société se disloque. Les extrémismes jouent sur les peurs, c’est le terreau du Front National. Le meilleur rempart contre le vote extrême c’est de travailler sur la confiance. Ce qui n’est pas facile, car elle demande de jouer sur des dimensions multiples et culturelles.

D’où vient cette défiance ?

Pierre Winicki : Au sein de l’Institut Confiances, nous avons analysé sept facteurs qui contribuent à préserver la confiance. La France est déficitaire sur ces sept aspects. Par exemple, les dirigeants publics et privés ne montrent pas de cohérence entre leurs paroles et leurs actes. Culturellement, le rapport à la vérité en France est particulier. On s’autorise des mensonges que dans d’autres pays on aurait plutôt tendance à condamner. Dans l’hexagone, il existe une certaine forme de tolérance par rapport à la dissimulation.

Arbre de performance sans logo
L’arbre de confiance découvert par l’Institut Confiances

Autre dimension de la confiance : la coopération qui se heurte à une culture extraordinairement individualiste, entretenue par notre système éducatif. Dans d’autres pays, dès la maternelle, les enseignants encouragent le partage et la coopération. Pour modérer mon propos, je dirais quand même qu’il commence à y avoir une prise de conscience de cette problématique. Certains établissements scolaires mettent en place des pédagogies remarquables pour créer cette culture de coopération chez les enfants.

Est-ce qu’on vit dans une société du contrôle ?

Pierre Winicki : Par exemple, les marchés publics reposent sur une culture de présomption de défiance. Ils partent de l’hypothèse que les entreprises qui répondent à des marchés publics sont par nature malhonnêtes et vont frauder, s’entendre ou vendre trop cher leurs prestations. Ils s’appuient également sur une autre supposition : les fonctionnaires eux-mêmes sont corruptibles ou paresseux et ne vont donc pas mettre convenablement en concurrence les prestataires pour obtenir le meilleur prix possible. L’État a donc mis en place tout un système de procédures qui garantissent la concurrence selon des règles extrêmement rigoureuses.

Il faut passer d’une culture du contrôle à priori à une culture du contrôle a posteriori.


Ce reportage d’Arte met en avant des entreprises qui ont supprimé la hiérarchie et les contrôles.

Quelles sont les conséquences de la culture du contrôle ?

Pierre Winicki : La lourdeur des procédures administratives de marché public représente un coût conséquent pour les entreprises. Sans parler du temps perdu par les fonctionnaires pour la gestion de ces commandes publiques. Il faut souvent 6 à 9 mois pour traiter un marché public. L’autre conséquence de cette culture du contrôle, c’est la souffrance au travail. Combien de cadres et de salariés vous disent qu’ils passent la moitié de leur temps à remplir des tableaux d’indicateurs pour leur chef ? Sans savoir à quoi ça sert… À part nourrir le fantasme de l’information parfaite et de la maîtrise de tous les risques de la part des dirigeants. On ne peut pas tout maîtriser ni tout savoir. L’acceptation du risque et la complexité fait d’ailleurs partie des facteurs de la confiance.

Comment renouer avec la confiance ?

Pierre Winicki : Il faut changer la culture contrôle : passer d’une culture du contrôle à priori à une culture du contrôle a posteriori. Ça veut dire passer d’une culture de présomption de défiance à une culture de présomption de confiance. Il ne faut pas considérer que les gens sont par nature malhonnêtes, mais honnêtes par principe. En revanche, nous ne vivons pas dans le monde des bisounours. Il existe des personnes malhonnêtes, qu’il faut sanctionner. Ce qui signifie renforcer les contrôles a posteriori et, si besoin, durcir les sanctions contre les fraudeurs.
Les médias doivent également accepter leur responsabilité dans cette défiance généralisée. Or certains dirigeants de grands médias semblent refuser d’interroger leur part de responsabilité dans le renforcement de la défiance des citoyens à l’égard des « élites », et donc d’interroger leurs pratiques professionnelles.