Grand-Est : le vote Macron est-il homogène dans les villes ?

Au soir du premier tour de la présidentielle, une marée bleue marine a recouvert le Grand-Est, à l’exception de quelques îlots aux abords des grandes villes. Zoom sur ces communes, loin d’être toutes homogènes.

Si l’on s’intéresse aux résultats des dix préfectures du Grand-Est (auxquelles nous avons ajouté Mulhouse, Troyes et Reims), Marine Le Pen ne serait même pas sur le podium final. Selon nos calculs, le second tour aurait opposé le candidat En Marche ! face à Jean-Luc Mélenchon, avec respectivement 24,4 % et 20,5 % des votes. Marine Le Pen n’arrive qu’en 4ème position, se plaçant derrière François Fillon avec 19,75 % des voix contre 19,79 %. Pourtant, sans discussion possible, le Grand Est a choisi son camp et il est bleu marine.

Au premier tour de l’élection présidentielle, la candidate du Front National remporte tous les départements de l’Est sans exception. La chef de file du parti d’extrême droite (27,8 %) devance de six points le mouvement En Marche ! (20,7 %) d’Emmanuel Macron. Si l’Est a toujours traditionnellement penché vers la droite, c’est la première fois qu’un candidat d’extrême-droite parvient à creuser l’écart de manière aussi spectaculaire. Cette fracture entre villes et campagnes n’est cependant pas nouvelle : déjà en 2012, “la géographie du vote Hollande se caractérise également par une nette domination dans la plupart des grandes villes, qu’elles soient dirigées par la gauche ou par la droite”, expliquent Michel Bussi, Jérôme Fourquet et Céline Colange, spécialistes en géographie électorale. Strasbourg, Nancy, Metz, les grandes villes ont fait leur choix : Emmanuel Macron est leur candidat. La déferlante bleue n’a pas fait de vagues dans les villes, rares point jaunes sur une carte dominée par le marine. Ces 13 villes représentent à elles seules 15% des inscrits dans le Grand-Est. Un poids qui n’a pas été suffisant pour faire pencher la balance en faveur de l’actuel président.

Mais peut-on parler d’uniformité au sein même des grandes villes du Grand-Est ? Ce plébiscite apparent est en fait trompeur. On s’en rend compte en visualisant l’écart de voix entre Emmanuel Macron et le candidat arrivé second. Prenons tout simplement le nombre de voix pour les quatre premiers candidats par ville, lors du premier tour. On s’aperçoit que les plus grands écarts se font dans les plus grandes villes, une logique liée aux nombres d’habitants : plus la population est grande, plus les écarts risquent d’être importants. Le premier constat serait de dire que les villes les plus peuplées ne sont pas uniformes, puisque les écarts entre les candidats sont relativement conséquents. C’est notamment le cas pour Strasbourg, Reims ainsi que Nancy.

Mais si l’on compare non plus en nombre de voix, mais en point de pourcentage, la réalité diffère quelque peu. Certes, les écarts entre Emmanuel Macron et le second candidat montrent que trois grandes villes, Nancy, Metz ainsi que Strasbourg, ont un écart plus conséquent que des villes plus petites comme Chaumont, Colmar ou encore Mulhouse. Mais Strasbourg par exemple n’arrive plus en tête, bien que l’écart en nombre de voix est le plus grand, en pourcentage, il ne représente que 2,62%, soit presque autant qu’à Bar-le-Duc. À Reims, ville avec une population avoisinant les 180 000 habitants, l’écart n’est que de 1,76%. Difficile donc de faire des généralités. Néanmoins, on constate tout de même que les villes plus reculés, avec moins d’habitants, ont tendance à refléter une vision plus homogène des votes que les grandes métropoles.

Nancy / Châlons-en-Champagne : le grand match

Dans ce tableau, une des principales villes du Grand Est fait exception. À Châlons-en-Champagne (préfecture de près de 45 000 habitants, six fois moins que Strasbourg) dans le département de la Marne, Marine Le-Pen (avec 17,78 % des voix) est arrivée en tête du premier tour des élections présidentielles, devançant Emmanuel Macron (15,84 %). À l’inverse, non loin de là – à quelques 150 kilomètres – la ville de Nancy a suivi un schéma radicalement différent. La cité ducale recueille, lors du premier tour de l’élection présidentielle, le plus grand nombre de voix à destination d’Emmanuel Macron. Le chef de file du mouvement En Marche! y obtient près de 28,46 % des voix exprimées, soit plus que la moyenne nationale (24,01 %).

Cartographie des catégories socio-professionnelles à Nancy, par zone IRIS

Cartographie du niveau d’études à Nancy, par zone IRIS

Nancy, bien connue pour être une ville étudiante, est dominée par les chômeurs, les étudiants et les personnes sans activité professionnelle. Viennent ensuite les retraités, les professions intermédiaires et les cadres. Une grosse majorité des nancéiens possède un diplôme de l’enseignement supérieur. Un critère important pour expliquer un vote FN faible. En effet, ce vote « est […] corrélé négativement aux taux de diplômés du supérieur et aux cadres, ce qui correspond globalement à sa faible implantation dans les centres-villes qui concentrent une partie importante de ces catégories sociales aisées », selon Michel Bussi et son équipe.

Cartographie du revenu médian à Nancy, par zone IRIS

Mais la ville de Nancy ne peut pas tout à fait être considérée comme homogène. Surtout lorsque l’on se dirige vers les quartiers excentrés, notamment ceux du Haut du Lièvre, Charles III, Haussonville et Bon Secours. Dans ces zones en périphérie de la ville, on trouve une population aux revenus faibles qui ne détient, pour la plupart, pas de diplôme ou un diplôme équivalent au brevet des collèges. Prenons le Haut du Lièvre par exemple. Dans ce quartier emblématique au nord de la ville de Nancy, le revenu médian peut être jusqu’à trois fois inférieur à celui des quartiers centraux : 5960 € contre un revenu médian de plus de 20 000 € lorsque l’on s’approche du centre. Des différences en terme de diplôme, mais aussi de revenus qui vont jusqu’à questionner les choix de vote. Au Haut du Lièvre, c’est Jean-Luc Mélenchon qui est arrivé en tête, récoltant près de 40% des voix. A contrario, Emmanuel Macron et François Fillon l’ont davantage emporté dans les quartiers proches du centre. Concrètement, plus les villes comptent de cadres et professions intellectuelles supérieures et de professions intermédiaires, de jeunes et de diplômés du supérieur, et plus leurs citoyens ont eu tendance à voter au premier tour pour Emmanuel Macron.


Cartographie des catégories socio-professionnelles à Châlons-en-Champagne, par zone IRIS

Cartographie du niveau d’études à Châlons-en-Champagne, par zone IRIS

À Châlons-en-Champagne, même constat : plus l’on s’éloigne du centre, plus le taux d’habitants sans diplôme à tendance à grimper. Et fatalement, le revenu médian baisse. À la différence de Nancy, Châlons-en-Champagne n’est pas une ville où l’on s’installe pour y entreprendre des études dans le supérieur. L’ensemble des habitants (hormis deux quartiers dans le centre) n’a aucun diplôme, ou ont un équivalent du brevet des collèges. Prenons le quartier Oradour, situé en périphérie de la ville. Sur les 1528 habitants, 1169 ont, au mieux, le niveau CAP/ BEP.

Cartographie du revenu médian à Châlons-en-Champagne, par zone IRIS

Le revenu médian est l’un des plus bas de la ville : 12 682 €. Sur les 24 bureaux de vote que compte la préfecture de la Marne, Emmanuel Macron n’arrive en tête que dans quatre d’entre eux. Ces zones sont assez similaires : situées dans le centre-ville, elles sont habitées en majorité par des retraités non diplômés dont le revenu médian est compris entre 20 000 et 25 000 euros.

Châlons-en-Champagne est donc le parfait exemple du vote Le Pen. « Le sur-vote des catégories populaires en faveur du FN renvoie à un certain nombre de difficultés existant dans ces territoires : niveau de revenu assez faible, fragilité du tissu économique local […]” expliquent Bussi, Fourquet et Colange. “À cela s’ajoute les conséquences de la relégation subie et choisie (obligation ou volonté de se mettre à distance de la grande ville) et la peur « d’être rattrapé par la banlieue », angoisse qui taraude une partie de ces milieux populaires”.

Finalement, plus les villes comptent de cadres et professions intellectuelles supérieures et de professions intermédiaires, de jeunes et de diplômés du supérieur, et plus les électeurs ont eu tendance à voter au premier tour pour Emmanuel Macron : Nancy en est la preuve irréfutable. À contrario, les quartiers (bien distinct sur nos cartes) où le revenu médian est plus faible que dans le centre ville, et le niveau d’études faible, auront tendance à voter pour l’extrême droite. En 2012, Marine Le Pen avait parfaitement compris les peurs de cet électorat, et “c’est souvent d’abord à eux, les fameux « invisibles », qu’elle s’est adressée durant la campagne en calibrant très clairement ses propos sur les attentes et les difficultés quotidiennes de cet électorat”. Une stratégie poursuivie en 2017, qui a failli porter ses fruits.


Méthodologie :

Nos données sont issues de l’INSEE et de data.gouv.fr.

Afin de comprendre le choix de certaines villes de voter plutôt pour Emmanuel Macron ou pour Marine Le Pen, nous nous sommes concentrés sur les aspects démographiques de deux villes de la région Grand-Est : Nancy et Châlons-en-Champagne, la première ayant récolté le plus de voix pour l’ancien ministre de l’économie ; et la seconde étant l’une des rares où Marine Le Pen est parvenue à renverser l’actuel président de la république.

Niveau d’enseignement, catégories socioprofessionnelles et revenus médians sont les trois aspects démographiques qui ont permis de comparer Nancy et Châlons-en-Champagne. Les données trouvées sur le site de l’INSEE ont permis d’établir six cartes qui soulèvent certaines disparités au sein de la population, pouvant influer d’une manière ou d’une autre sur le vote.

Voir aussi : Le vote contestataire dans le Grand Est et Opposition entre périphéries et métropoles : un faux débat ?.

 

Camille Bresler, Robin Ecoeur, Margot Ridon, Marine Van Der Kluft