Françoise a trente-six ans. Elle est mariée et n’a pas d’enfants. Aide à domicile employée par l’Amapa depuis quatorze ans, elle aimerait aujourd’hui ralentir le rythme effréné de sa vie.

Quand elle raconte ses journées, Françoise garde son emploi du temps sous les yeux afin de ne pas s’embrouiller. Jonglant entre les heures et les adresses, elle confie en riant : « Ma vie, c’est une course au quotidien, un vrai cirque ! » Fameck. Bertrange. Uckange. Guénange. Ranguevaux … Mardi. Mercredi. Jeudi. Vendredi. Samedi et dimanche, une semaine sur deux. Depuis quatorze ans, Françoise voyage. Elle pourrait faire ces trajets les yeux fermés. Chaque matin aux environs de 7 heures, elle quitte sa maison et son mari. Elle prend le volant de sa twingo, mettant entre parenthèses ses propres soucis. Elle les retrouvera le soir-même.

Au début de sa carrière, en 1996, Françoise alternait aide à domicile, le matin de 8h à 12h, et maison de retraite à Uckange, l’après-midi de 13h30 à 20h30. Aspirant aux changements et ne souhaitant pas côtoyer en permanence les mêmes personnes âgées, elle s’est finalement tournée exclusivement vers l’aide à domicile. « Travailler à l’Amapa ne veut pas dire s’occuper uniquement des personnes âgées ! Tu peux être en charge d’enfants handicapés, de nourrissons. C’est ce que je voulais faire. Aider des personnes très différentes les unes des autres… ». Sur un ton désabusé, elle revient sur ses conceptions d’antan. « 44 heures les semaines où je travaille les samedis et dimanches ! Je m’occupe finalement des mêmes personnes depuis des années. C’est comme si j’étais en maison de retraite mais en plus crevant et avec une moins bonne paye, tout juste le smic. »

Il fait froid ce matin. Françoise porte à son cou un foulard. Un couple, de 77 et 81 ans, d’Uckange le lui a offert noël dernier. Françoise sourit. « Je les connais depuis bientôt sept ans. Je m’occupe de lui le mardi et d’elle le jeudi. Une salade ou des pommes de terre du jardin m’attendent presque toujours. » Elle remplace parfois ses collègues pour dépanner mais l’essentiel de son temps de travail est consacré à six « patients » réguliers. Ils sont âgés de 76 à 86 ans et se sont habitués à sa présence. Françoise rythme leurs journées. Elle leur est fidèle depuis tant d’années. « Ils ont besoin de stabilité, ça les rassure. » Françoise se dit profondément attachée à eux. Ils font partie de sa vie. Elle fait leur toilette, leur soupe, leur ménage, les nourrit, administre les médicaments. Elle leur tient compagnie, leur lit le journal ou des livres… « Bien plus qu’une relation professionnelle, c’est une relation d’amitié qui se crée. » Si elle est souvent rattrapée par le rythme des visites, Françoise ne veut pas négliger « le plus important » : « je dois surtout leur apporter de la vie » dit-elle « ça se joue dans des moment privilégiés comme les petits gâteaux et le café. C’est presque un rituel », ajoute-t-elle. « Les personnes âgées dépriment. Une vraie aide à domicile ne se contente pas de passer le balai. Je les seconde. Je les écoute. Je leur remonte le moral, leur donne de l’importance et les aide à vivre. Quand c’est trop dur, je me force à ne pas craquer, à tenir bon jusqu’au soir …»

Même si Françoise ne regrette à aucun moment ses choix, elle souhaite aujourd’hui vivre différemment. Cesser de négliger sa vie personnelle. Prendre le temps de mieux vivre. Elle a déposé en janvier dernier un dossier de candidature pour passer son diplôme d’Etat, le DEAVS. Il lui permettrait d’étendre ses responsabilités et de travailler à la maison de retraite d’Ennery. Le doute l’habite toutefois. « A la maison de retraite on est plus proche de la mort… C’est comme une dernière étape. A nous de leur faire oublier. »