Pendant un an, Robin D’Angelo s’est immergé dans les coulisses du porno amateur « made in France ». Une plongée dans un monde âpre et violent dont il tire un livre paru aux éditions Goutte d’Or : Judy, Lola, Sofia et moi.

Dans son essai King Kong Théorie, Virginie Despentes écrit : « le porno se fait avec de la chair humaine, de la chair d’actrice ». Cette citation, on la retrouve dès les premières pages du livre de Robin D’Angelo. Si la formule choque, elle résume pourtant bien la réalité que décrit l’ancien rédacteur en chef de StreetPress au fil de son enquête.

Pendant son immersion, de janvier 2017 à mars 2018, il rencontre des dizaines de membres du milieu. Si, pour les actrices, il choisit de modifier les prénoms et certaines caractéristiques physiques, ce n’est pas le cas pour les réalisateurs ou les producteurs. Pour le journaliste, « leur mise à nu relève de l’intérêt public, tant cette industrie est opaque ».

« Si elle dit oui, elle dit oui »

Cacher ses ressentiments à leur égard et ses véritables intentions n’est la seule difficulté à laquelle il doit faire face. Quitte à faire des entorses à la déontologie journalistique, il n’hésite pas à « franchir la ligne rouge ». Que cela implique écrire des articles complaisants dans Playboy ou participer à certaines actions qui le répugnent (cadrer une vidéo ou être acteur). Pour dépeindre ce qu’il observe, il s’astreint à « un pacte de transparence ». Ainsi, il décrit tout jusque dans les moindres détails avec un vocabulaire cru. L’écriture, volontairement subjective, est maitrisée. À un tel point que lors de scènes violentes on peut véritablement se sentir mal, et devoir poser le livre pour faire une pause.

Volonté affirmée de choquer ? Probablement. Mais ces descriptions dans les moindres détails sont cohérentes avec le propos de l’enquête. Du titre à la dernière page, Robin D’Angelo ne cache pas sa prise de position du côté des actrices. Il acquiert leur confiance jusqu’à devenir intime avec elles, et livre beaucoup de détails personnels. On a parfois l’impression que le journaliste, qui se met en scène tout au long de l’enquête, se place en « justicier ». Il décrit avec longueur la manière dont il tente de se porter aux secours de filles opprimées. Des actes certes louables, mais qu’il semble utiliser pour se mettre en lumière.

Interview de Robin D’Angelo par StreetPress (Youtube)

« Merci qui ? Merci Lola »

S’il met parfois son éthique de côté pour les besoins de l’enquête, il pointe fermement du doigt les responsables, qu’il s’agisse des producteurs, réalisateurs ou des distributeurs, Jacquie & Michel en tête. Et lorsque ces derniers refusent une interview, il ne lâche pas l’affaire.

Pour appuyer ses propos et donner une vision globale de l’industrie en France, il fait appel à des chercheurs. Des travaux bienvenus, mais qui débarquent parfois de nul part. Ainsi, d’un paragraphe à l’autre, on peut passer sans explications d’une immersion sur un shooting à une citation d’un sociologue sur la sexualité féminisme. Ce qui donne au livre un rythme étrange et a tendance à désorienter. L’enquête se focalisant sur les actrices dans un milieu dominé par les hommes, on peut aussi regretter le peu de femmes (universitaires ou journalistes) citées.

320 pages plus tard

Judy, Lola, Sofia et moi, c’est l’expérience personnelle d’un journaliste dans le monde du porno amateur français. On pourrait rétorquer, ce que ne manque pas de faire les producteurs ou réalisateurs, qu’il ne faut pas généraliser. Certes, l’enquête se révèle subjective à l’extrême, partiale, mais c’est, après tout, ce que l’on vient chercher dans un ouvrage de ce genre. Car immersion gonzo ne veut pas dire que les faits n’existent pas. Ici, au fil des pages et des entretiens, Robin D’Angelo décrit des vies sombres, brisées, alors que dans le même temps, ce secteur ne s’est jamais aussi bien porté. Ainsi, en 2017, Jacquie et Michel aurait remporté pas moins de 25 millions d’euros. On dit merci qui ?

Rémy Chanteloup