Après treize ans au pouvoir, Hamid Karzai doit céder son siège de président. Face à lui, huit candidats. Mais le véritable enjeu de ce jour de scrutin est son déroulement en toute sécurité et dans le respect de la démocratie, alors que l’ombre des talibans plane et que dans quelques mois les 51 000 soldats de l’Otan devront lever le camp. 

« Malgré les attentats et les tentatives d’intimidation, la volonté de la population de s’exprimer, grâce aux urnes, demeure intacte ». L’affluence constatée depuis ce matin dans les quelques 6775 bureaux de vote du territoire semble confirmer le discours du site de l’ambassade.  Les quinze millions d’Afghans appelés aux urnes se sont déplacés en nombre. Ce qui frappe, ce sont les longues files d’attentes qui se sont formées devant les bureaux de vote à travers le pays, malgré la pluie et le froid, malgré le boycott et la menace des talibans.

Pour la première fois dans cet Etat, le pouvoir va être transmis d’un chef d’Etat démocratiquement élu à un autre. Il s’agit d’un tournant historique pour ce pays pauvre qui se relève juste de plusieurs décennies de conflits. Boycottée par les talibans, qui ont promis de la « perturber », l’élection a déjà été entachée de plusieurs attaques sanglantes (À relire, notre article sur le sujet) et  des missions d’observation électorale étrangères ont décidé de quitter le pays.

C’est également la première élection entièrement contrôlée par les autorités afghanes. Le ministre de l’intérieur Omar Daudzai a prévenu que 400 000 policiers, militaires et membres des services spéciaux seraient déployés pour assurer la sécurité à travers le pays.

Plus de 300 000 observateurs afghans (indépendants et représentants des candidats) doivent surveiller le vote. L’objectif est d’empêcher la fraude massive constatée en 2009 de se répéter. Les électeurs « arrivaient dans un bureau de vote avec plusieurs cartes et votaient même au nom de femmes », rapporte un article de RFI paru à l’époque.

 

 

 

À midi heure française ce samedi, soit deux heures avant la fermeture des bureaux à Kaboul, le premier tour semble s’être déroulé dans le calme. Aucune importante attaque ou fraude n’a été rapportée par les reporters sur place. Quelques incidents, quelques bureaux « fermés » ou à court de bulletins, mais « globalement OK »

 

 

 

 

La grande incertitude reste le scénario dans les campagnes, comme le notent certains journalistes. Les régions reculées du sud et de l’est, surtout, sont les zones les plus occupées par les talibans. Les observateurs craignent aussi les fraudes et les vols au lendemain de l’élection lors du « rapatriement des urnes à Kaboul où elles seront centralisées ».

 

35 % des votants sont des femmes

 

Les femmes aussi entendent participer à l’élection du futur président. « Environ 35% des nouveaux votants sont des femmes. Et plus de 300 femmes se sont présentées candidates au Conseil des provinces. C’est très encourageant », se réjouit Nicholas Haysom, à la tête des Nations Unies en Afghanistan, dans un communiqué publié aujourd’hui. D’après lui, « le scrutin est la meilleure arme dont les femmes disposent pour mettre leurs intérêts sur la table ».

Pour encourager les femmes à participer, plus de 40% des lieux de vote leur ont été réservés. C’est ce qui a donné lieu à ces photos un peu irréelles, publiées aujourd’hui sur Twitter, de longues files d’attentes uniquement composées de femmes cloîtrées sous de longues burqa bleues.

Comme le rappelait encore en 2013 Amnesty International, les violences liées au genre dans le pays restent à un niveau particulièrement élevé, malgré les acquis engrangés depuis 2001 – comme le passage en 2009 d’une loi qui érige en infractions le mariage forcé, le viol, les passages à tabac.

Mais cette loi n’est pas toujours appliquée et la Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan a recensé plus de 4 000 cas de violence contre des femmes entre le 21 mars et le 21 octobre 2012, soit une augmentation de 28 % par rapport à la même période de l’année précédente. Aujourd’hui, les femmes sont « coincées entre d’indéniables progrès et de tangibles menaces », analysait Le Monde en février. Leur sort futur est suspendu à l’issue de cette présidentielle.

 

Huit candidats, trois favoris

 

Huit candidats briguent le siège présidentiel. Parmi eux, trois anciens ministres de Karzai, qui se sont imposés comme favoris : Abdullah Abdullah, Ashraf Ghani et Zalmai Rassoul. Abdullah Abdullah, principale figure de l’opposition, s’était déjà présenté en 2009 et avait récolté plus de 30 % des voix au premier tour. Ashraf Ghani est moins connu qu’Abdullah sur la scène intérieure, mais a été ministre des Finances entre 2002 et 2004. Zalmai Rassoul, enfin, considéré comme le candidat du président sortant, a été ministre des Affaires étrangères de 2010 à 2013.

Zalmai Rassoul, Abdullah Abdullah et Ashraf Ghani, les trois favoris à l’élection.

Mais il faudra sans doute encore plusieurs mois pour savoir lequel de ces candidats a obtenu les suffrages des Afghans. Comme le précise France Inter aujourd’hui : « Six semaines seront déjà nécessaires pour annoncer le résultat du premier tour, le temps que 3 000 ânes rapatrient vers Kaboul les bulletins de vote en provenance des zones montagneuses les plus difficiles d’accès ». Si aucun candidat n’obtient 50 % des voix, le second tour aura lieu le 28 mai.

Peu importe le résultat pour les talibans : ils considèrent l’élection comme un « complot des envahisseurs occidentaux ». Chassés du pouvoir fin 2001, les insurgés ont multiplié les violences jusqu’au scrutin et regagnent du terrain. Leur objectif est simple :  instaurer de nouveau un gouvernement islamique.

À l’heure où l’Otan s’apprête à quitter l’Afghanistan, c’est un conflit idéologique qui risque de faire rage au sein de la société afghane, entre les défenseurs des acquis de liberté, plus modernes, depuis 2001, et ceux plus conservateurs, qui réclament un retour à une société moins « occidentale ».