Pauline, forgeronne

Cette année, la licence a encore été préférée aux formations professionnalisantes comme premier vœu d’études supérieures. Pauline, spécialisée dans la forge, a elle préféré les couteaux aux bancs de l’université. Elle ne regrette pas son choix.

Quand on l’aperçoit, on l’imagine humble et réservée. Quand on l’entend répondre aux questions, on rajoute la sérénité et la confiance en soi. Pauline est une jeune femme sûre d’elle et de ce qu’elle dit. Elle n’a pas forgé son avenir à l’université mais bien avec marteau et enclume. Cette année, 40% des bacheliers, toutes filières confondues, ont encore choisi d’aller en licence, au grand dam des formations professionnalisantes comme CAP, BTM ou autres diplômes de métiers d’art. Originaire de Strasbourg, elle a décidé de devenir forgeronne coutelière. Pourtant, le parcours n’a pas été si évident pour elle.

« Je voulais travailler avec mes mains »

Le bac en poche, elle s’inscrit en DUT physique-chimie mais elle se rend compte que cette filière ne correspond pas à ses ambitions. Beaucoup trop théorique. Elle s’engage dans une licence design à Strasbourg, qu’elle validera et prolongera avec un master design, qu’elle réussit également. Vient alors le déclic. Au cours de sa deuxième année de master, elle doit prototyper un couteau artisanal, le concevoir puis le fabriquer. « C’est là que j’ai eu un coup de cœur pour l’objet en lui-même. Pour la place qu’il occupe dans l’évolution de l’Homme. Le couteau est depuis la nuit des temps un objet de pouvoir. Son aspect ancestral et historique m’intéresse »

Deux couteaux avec lame en damas.
Ici, un couteau pliant avec une lame en damas. Crédits : Léo Schaller

Pour forger son couteau artisanal, elle fait un stage de deux mois, chez Thierry Stumpf, coutelier basé à Rosheim, dans le Bas-Rhin. Elle se lance dans une formation intitulée « Dispositif de transmission de savoir-faire rares et d’excellence » auprès du forgeron, pendant un an. C’est sûr que c’est moins ordinaire qu’une première année de médecine ou de droit. « Le design était trop abstrait pour moi, je voulais travailler avec mes mains » précise Pauline.

« J’aurais pu avoir un poste qui paie mieux que le SMIC »

Pendant un an, elle sera dans l’atelier du coutelier, avec six semaines de cours et cinq semaines de congés. Cet apprentissage dépend de la FREMAA, la Fédération Régionale des Métiers d’Art d’Alsace. Il aboutit à une exposition. Pauline était présente début novembre au salon européen des Métiers d’Art à Strasbourg. Ravie de pouvoir montrer son travail aux visiteurs, un sourire permanent aux lèvres.

« Il y a une forme de culture élitiste qui te pousse à avoir un salaire haut. La fac permettrait de l’obtenir vite et accompagné en plus de l’indépendance financière. En plus, quand tu es à la fac, tu as le temps de choisir ce que tu veux faire plus tard, tu n’es pas pressé ». Si elle avait terminé son DUT chimie (bac+2), elle aurait pu obtenir immédiatement un poste mieux payé que le SMIC.

Mais c’est comme ça, Pauline fait les choses avec passion. Lorsqu’elle a annoncé à ses parents qu’elle voulait s’engager dans l’artisanat, ils ont pris peur et ont eu du mal à l’accepter au début. « C’est vrai que c’est difficile de vivre de l’artisanat d’art, il ne faut pas se faire trop d’illusions » avoue-t-elle. Il y a eu une sorte de conflit. Les parents de Pauline l’ont « coaché ».  « Ils ont toujours fait preuve de bienveillance. En quelque sorte, ils me disaient « On ne va pas te laisser te perdre » ».

« Mes professeurs m’ont toujours dit de me positionner clairement. » Secteur difficile oblige. « Je devais me demander pourquoi j’étais là, toujours développer ma singularité, réfléchir à comment je pouvais apporter ma touche personnelle ».

Les détails sur les manches des couteaux de Pauline : des fils de tissu insérés dans le manche.
Le fil conducteur de Pauline, visible sur le manche du couteau. Crédits : Léo Schaller

Passion et vécu : le fil conducteur

Pauline est depuis un an et demi forgeronne coutelière, toujours aux côtés de Thierry Stumpf. Son nom de scène ? « La Forge Ronronne ». Elle conçoit des couteaux pliants et des couteaux de cuisine. Fin novembre, elle a même lancé son site officiel, qui lui offre une belle vitrine pour présenter son travail. Elle n’est pas vraiment axée stratégie, la concurrence ne l’intéresse pas plus que ça. « Quand j’allais parler aux autres couteliers du salon à Strasbourg, ils me disaient des noms du milieu, mais je disais à chaque fois « C’est qui lui ? » » rigole-t-elle.

Sa source d’inspiration ? « Mon vécu. Je le mets dans l’objet ». Sur le manche de son dernier couteau artisanal, on distingue un chemin en fil brodé qui caractérise son histoire, son passé avec sa grand-mère qui faisait de la couture et de la broderie. Pauline fonctionne comme ça. Avec volonté et passion. Financièrement, les choses se passent bien jusqu’à maintenant. Elle en profite. Avec son regard sûr, sa sérénité ressort : « Ça vaut toujours le coup d’essayer. On est tout simplement porté par ce qu’on aime faire. »

La jeune coutelière a réussi à vendre plusieurs couteaux artisanaux lors du salon. Une réussite qui laisse toutes ses chances à une forge qui pourrait bien ronronner encore longtemps. Dans dix ans, elle espère être encore libre de créer et d’exister dans son activité. « Je veux continuer sur ma lancée et partager ce que je fabrique librement, en espérant que l’aspect financier ne me rattrape pas. J’ai conscience que j’ai beaucoup de chances jusqu’à maintenant ».

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