Dévoilé sur les toiles françaises le 26 novembre, Night Call est la toute première réalisation de Dan Gilroy. Et si le trailer semble annoncer une énième daube faite d’action et de courses poursuites en bagnoles, la réalité en est toute autre. Mise au point sur le film le plus original de l’année 2014.

Des fusillades, un peu de sang, des moteurs qui gueulent. Les ingrédients d’un bon film d’action stéréotypé. On croirait presque à un décalquage sur Drive. À tort. D’ailleurs il s’agit des mêmes producteurs qui se sont lancés dans l’aventure Night Call. C’est l’histoire d’une immersion volontaire au centre d’un Los Angeles sombre et glauque. Souvent sanglant. Et du sang, plus il y en a, mieux c’est pour ceux qu’on nomme les « nightcrawlers ». Traduction : des vers de terre. Joli nom pour ces cameramen à la recherche d’images sensationnelles à revendre aux plus offrants. Un peu les vampires de la profession. Lou Bloom devient l’un d’eux.

Night Call

Ces derniers temps, la mode est aux anti-héros. Loin des personnages qui font rêver ou des bad boys de pacotille, les anti-héros peuplent de plus en plus nos écrans. Lou vient s’ajouter à cette longue liste bien qu’il ferait pâlir notre bien-aimé Walter White de la série Breaking Bad ou encore Dexter. Night Call nous invite à suivre l’infâme Lou Bloom aux airs angéliques. Dès le début du film, le scénario annonce la couleur : le personnage principal interprété par un Jake Gyllenhaal amaigri est un rapace. Voleur vagabondant dans les rues de Los Angeles à la recherche du prochain délit à commettre. Il a ce sourire qui glace. Une innocence crasse. Lou maîtrise à la perfection l’art de la dialectique. La vie est un jeu, une négociation et il veut en sortir gagnant. Parfois Lou nous fait rire. Il a ces phrases bien placées qui amusent le spectateur. Mais la plupart du temps, il oscille entre manipulation et névrose.

Ermite apathique auquel on a du mal à s’attacher, Lou nous intrigue plus qu’il ne nous séduit. On ne s’attriste pas devant ses tentatives vaines à trouver un travail. Et puis il trouve bien vite sa vocation : les reportages à scandales. Caméra au poing, il se lance dans la course aux images trash. Pas de doutes, pas de scrupules. Tout est permis. Ses plans mal filmés et sanguinolents fascinent rapidement Nina incarnée par Rene Russo, la directrice des informations d’une chaîne locale dont l’audience est en chute libre. Lou Bloom va toujours plus loin. Il se fait un nom et défie toute concurrence. Il a cette détermination malsaine. Un peu comme un artiste de l’horreur, il n’hésite pas à mettre en scène ses images, bougeant un cadavre ou capturant le lieu d’un crime avant même que la police ne soit là. Lou est fou. Sociopathe médiatique à la candeur dérangeante.

American dream, babe

Et s’il reste une critique du monde médiatique, Night Call ne se pose pas franchement dans un rôle moralisateur puriste. On laisse ça aux documentaires qui ont déjà fait leurs preuves (Le jeu de la mort). Le spectateur est surtout placé face à la réalité d’une société qui s’ébranle vers un voyeurisme gênant. Lou et Nina sont l’incarnation de tout ce qui rebute dans la profession. Là où l’éthique disparaît et où le taux d’audience renaît. Les limites s’effacent derrière une violence devenue la catin des médias. Celle que l’on paye au prix fort.

Au-delà de cette mise en perspective des médias, le film resserre le cadre sur le mythe, l’édulcoré. On revisite le self-made-man sous ses aspects les plus sordides. Lou, pour monter l’échelle sociale, détruit tout sur son passage : « Je ne vous demanderai jamais de faire ce que je ne ferais pas moi-même. » La réussite et l’argent deviennent les maximes du monde moderne. En fin de compte, Lou n’est que le produit d’une société ratée, décadente, construite sur les erreurs des générations précédentes.

Il n’y a pas de happy end ou de retour sur la morale de l’histoire. Night Call ne s’embarrasse pas d’une fin pré-mâchée. Tout comme les dérives qu’il dénonce, le film laisse filer Lou et son équipe dans la nuit. Toujours à la recherche de l’information que Nina définit comme « une femme hurlant dans une rue, la gorge tranchée. »

Notons que le jeu d’acteur de Jake Gyllenhaal est au-delà des mots. Il manie avec brio la personnalité tordue de son personnage. On en oublierait presque sa mine sympathique et touchante dans Le secret de Brodeback Mountain.

En bref, à mi-chemin entre la comédie, le found footage et le thriller engagé, Night Call joue avec vos émotions comme on zappe à la télévision.