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Le jour, Serge Fratini est travailleur aux Chemins de Fer Luxembourgeois. Le soir, le cheminot troque son gilet fluo contre une vieille veste en cuir et devient Fanta, président du Black Wolves Motorcycle Club. Rencontre dans la tanière du loup.

Après plusieurs rendez-vous annulés à cause d’urgences sur le réseau ferré, je rencontre enfin le chef de meute des bikers dans leur club house.

Le repaire des « loups noirs » se trouve en plein centre de Differdange. La ville industrielle, toute de briques écarlate, est le chef-lieu des Terres Rouges, région luxembourgeoise autrefois phare de la sidérurgie européenne mais aujourd’hui essoufflée.

Lorsque j’arrive en début de soirée, l’ambiance est encore calme. À peine passé la porte, la voix de Fanta, que je ne vois pas, me demande : « Est-ce que tu peux déplacer ta voiture ? Il y aura bientôt beaucoup de motos devant le club. Je termine de cuisiner en attendant !»

Dix minutes plus tard me voilà de retour. Au fond du club où se côtoient amplis de guitare, Kawasaki empalée au mur, crânes et déco rock and roll, le motard m’attend derrière le bar. Petites lunettes rondes teintées, barbe grisonnante, chemise ample, le personnage s’avère être un pur produit des années soixante-dix. Sur fond de Black Sabbath, il me propose une bière et des spaghettis bolognaise maison.

J’ai quatorze ou quinze motos

Fanta est investi de la fonction de président du club depuis 1999. Cependant, il m’assure que « ce n’est qu’officiel. Il n’existe pas de hiérarchie chez nous. » Le passionné de moto et de rock évoque immédiatement les racines de son club : « Le Motorcycle Club existe depuis 1993. Je me suis laissé embarquer en 1994. Actuellement, nous comptons quatorze membres actifs. Notre groupe se compose de patrons, de retraités et d’ouvriers de toutes origines. Je suis Italien, mais plusieurs de nos membres sont Allemands, Luxembourgeois, ou Français. Tout le monde se réunit autour d’une passion commune et toute personne motivée et prête à s’investir est la bienvenue. »

Passionné, Serge Fratini l’est sans aucun doute. Alors que je termine ma pasta, le motard me raconte comment, depuis tout petit, il baigne dans l’huile de moteur et les effluves d’essence : « J’ai quatorze ou quinze motos, je ne sais plus très bien. Essentiellement, des italiennes. Tout petit en Italie, ma famille me faisait monter sur des motos, et je les collectionne depuis que j’ai l’âge d’en conduire. J’ai beaucoup voyagé avec elles.»

Tandis que la discussion continue et que les bières se vident, des motos se garent petit à petit devant le club house et les membres du club investissent la pièce. « Comme tu peux le voir, nos membres sont âgés de 24 à 62 ans ! Et voici le plus âgé ! » Plaisante Fanta en me présentant un vieux géant à la barbe blanche. Il ajoute en riant : « Ne l’embête pas, il était Hells Angel ! »

Depuis 2001, les Black Wolves passent leurs week-ends au club house. Ambiance rock and roll et familiale, fêtes, concerts et foule dense font l’intérêt du lieu. « Ici, nous sommes entre nous, chez nous », poursuit Fanta. « Nous ne sommes pas obligés de nous plier aux règles des cafés. Pas de fumoir, tout le club en est un ! On organise des fêtes quand on veut. On organise des concerts, mais les musiciens sont toujours des copains. Il s’agit d’un club privé. La carte de membre donateur est obligatoire à l’entrée. Mais toi, bien sûr, tu peux rester !»

Home sweet home

S’il y a autant de monde ce soir au club house, c’est parce qu’un groupe de heavy metal vient jouer. Fanta est très fier d’accueillir les chevelus du groupe luxembourgeois Lost in Pain : « Ils jouent à domicile ce soir. Quand je les ai connus, ils étaient gamins. On leur avait donné l’occasion de jouer plusieurs fois au club house. Depuis, ils ont sorti trois albums chez un gros label et ont fait la première partie de Soundgarden. Un pur produit de Differdange ! »

La musique de fond change pour les Aphrodite’s Child, avec qui les membres du club partagent un goût certain pour les belles barbes. Le biker embraye sur le Steel Run, un festival de motards que le club organise tous les deux ans au moins de juin dans les hauteurs de Differdange. « Nous faisons jouer seize groupes sur deux jours. On organise aussi des strip shows, du burnout, et nous installons des stands de tatoueurs, de mode et d’artistes. » Ce festival, dont l’entrée est libre, attire à chaque édition entre 1500 et 2000 fans de rock et de motos originaires de France, de Belgique, d’Allemagne, et même d’Italie. « Beaucoup viennent chez nous, mais nous allons aussi chez eux. C’est un échange, les clubs se visitent entre eux. Ils nous trouvent tous cool ! »

Malgré ses nombreux voyages, le chef du club reste très attaché à sa ville. Alors qu’on se met à l’écart pour s’entendre parler tandis que le groupe effectue ses balances, il raconte : « Je suis né en Italie, mais je suis ici chez moi. À Differdange sont représentées une centaine de nationalités différentes : Italiens, Brésiliens, Capverdiens ou Russes. Les différences ne séparent pas les gens, mais créent une alchimie. Cette relation impacte sur la vie culturelle et la créativité. On croise des peintres, des sculpteurs et des écrivains qui vivent ensemble et se côtoient. » Il ajoute en riant : «Tu vois, nous les motards, on joue les durs, on se bagarre, mais on n’est pas des brutes insensibles ! »

L’attachant biker me quitte sur ces belles paroles pour aller s’occuper du jeune groupe. Alors que je quitte le club house, ces paroles d’Adamo me viennent en tête : « En blue jeans et blouson d’cuir, tu vas rejoindre les copains. En blue jeans et blouson d’cuir, tu te crois en liberté. T’es pas fait pour jouer les durs. »