Annoncé, annulé puis repoussé… Le démantèlement du camp de Blida a finalement eu lieu. Ses occupants sont partis à bord de plusieurs bus à la destination inconnue. Immersion au cœur  du démantèlement d’un bidonville d’Etat.

L’aube n’a pas encore pointé le bout de son nez que l’agitation grimpe déjà devant le camp. Les esprits s’échauffent alors que le thermomètre affiche timidement les 1°C. Arrivés à bord de camionnettes, les bénévoles du Soleil de Blida tentent de rassurer les migrants. L’annonce circule depuis quelques heures déjà, le camp de l’infortune sera bien démantelé aujourd’hui.

Un voyage controversé

Il est presque 8h lorsque le premier bus arrive. Les familles grimpent avec leurs valises. Si les destinations sont inconnues, une bénévole confesse avoir deviné la destination Bayonne, « avant qu’ils n’enlèvent la pancarte ». Nikolas, un adolescent serbe de 15 ans, arrivé avec sa famille il y a deux mois, relativise : « la ville de Metz va me manquer, mais pas les tentes ».

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Les motards de la police escortent le premier bus ©Romain Ethuin

Certaines familles pouvant être amenées à être séparées, les autorités ne communiquent pas les destinations. On peut aussi voir distinctement des sacs plastiques recouvrir les sièges des bus réquisitionnés par la préfecture. Anouchka Chabeau, à la tête de la direction départementale interministérielle de la cohésion sociale de la Moselle, élague la question : « Je ne vois pas de quoi vous parlez. C’est probablement une décision de la compagnie de bus ». Un adolescent serbe nous confiait pourtant juste avant ne pas aller à l’école à cause du manque d’hygiène sur le camp : « L’école, c’est pour les gens propres. Je ne peux pas aller à l’école comme ça ».

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Une famille serbe sous l’instance d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ©Romain Ethuin

Tous ne montent pas dans les bus. C’est notamment le cas d’une famille serbe avec deux petits garçons et une petite fille, mise à l’écart. Selon la mère de famille, ils sont sous l’instance d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Anouchka Chabeau nous confie que cette famille sera bien reçue à la mission foraine de l’OFPRA, où ils bénéficieront d’un entretien. Elle rappelle tout de même qu’en Moselle, « 525 personnes ont été reconduites cette année ».

Un dispositif impressionnant

Les forces de l’ordre arrivent sur place dès 6h50. Une douzaine de camionnettes et une compagnie de CRS défilent. Très vite, ils encerclent le camp avec des barrières métalliques, parquant tous les occupants à l’intérieur. Ces derniers s’agitent. Certains prennent peur et tentent de passer les barrières. Les forces de l’ordre postées aux horizons, leur refusent l’accès en les invitant à retourner d’où ils viennent. Certains migrants ont peur, il faut dire que le cordon policier a de quoi impressionner. On entend des bénévoles se plaindre du fait que certains individus soient encore dehors.

Un CRS en poste ©Romain Ethuin

Les grilles se referment sur elles-mêmes tandis que l’émotion s’empare des bénévoles. Malika Tounzi, responsable de mission chez Médecins du Monde à Metz, se réjouit de cette trêve hivernale qui met fin à une véritable « chasse à l’homme« , même si elle déplore le fait que ce ne soit « que la partie visible de l’iceberg« . Celle que l’on surnomme Beta, de l’association Le Soleil de Blida, fond littéralement en larmes. Elle ne souhaitait pas assister à ces scènes d’évacuation mais s’est finalement résignée à venir : « C‘est bien pour eux mais c’est dur en même temps ». Elle assure être heureuse de les voir quitter ce camp infâme, même si elle s’est habituée à leur présence: « On a vu quelques petits bouts d’chou grandir ».

L’opération de démantèlement débute avec l’arrivée des services de l’OFII vêtus de gilets écarlates ainsi que des personnels du 115 arborant un brassard jaune. Plusieurs traducteurs ferment la marche. On distille les instructions au microphone en plusieurs langues. On demande aux occupants de se présenter individuellement avec leurs documents d’identité et le strict minimum de ses affaires. Les migrants défilent à mesure que leur nom est épelé.  A la vue de ces files d’attente entourées de barrières et de grillages, de pénibles images reviennent en mémoire.

Chacun attend son tour © Romain Ethuin

Une opération teintée d’incertitude

L’incertitude régnait encore quelques heures plus tôt. Les associations humanitaires sur place et les migrants ont un temps douté du démantèlement. Un bénévole de Médecins du Monde exprimait son désarroi : « On nous avait dit 3h, et maintenant ce serait reporté à 6h ». Un demandeur d’asile, parmi plus de 800 autres de ses compagnons d’infortune, en profite pour nous montrer désespérément toutes ses ordonnances médicales. Il réclame ardemment une place à l’hôpital.

Le quinquagénaire albanais possédait plusieurs ordonnances médicales ©Romain Ethuin

Ce n’est qu’un au revoir…

Plusieurs personnes sur place expriment leur inquiétude quant à la reformation du camp. En effet, inauguré en 2013, le bidonville de Blida a une fâcheuse tendance à se reformer chaque année. Un démantèlement avait déjà eu lieu un peu plus tôt en septembre de l’année dernière avant que le camp ne réapparaisse en avril dernier. Lorsqu’on interroge Anouchka Chabeau sur l’éventualité d’un Blida 2018, elle rétorque brusquement : « Ce n’est pas la question ».

En attendant de véritables adieux, il semblerait bien qu’il ne s’agisse que d’un au revoir…

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Une bénévole salue une dernière fois les migrants à l’intérieur du bus ©Romain Ethuin

Romain Ethuin