En France, près d’un 1% de la population souffre de troubles alimentaires, anorexie, boulimie… Focus aujourd’hui sur l’anorexie athlétique avec le témoignage de Julie Postic.

Ne pas grossir. Éliminer les aliments « trop gras », « trop sucrés ». Faire du sport, pour perdre du poids, toujours et encore. Se peser plusieurs fois par jour. Traquer la moindre trace de gras possible sur son corps. Ne pas en trouver. Manger quand même moins, faire plus de sport, perdre encore du poids. Améliorer ses performances. Manger moins. Progresser. Et puis non. A force de manger moins, régresser. Ne plus courir aussi bien qu’avant, ne plus combattre aussi bien qu’avant, ne plus danser aussi bien qu’avant. Tomber.

Quand la balance devient une amie-ennemie, quand le sport est une échappatoire, quand manger devient une souffrance. Quand il y a anorexie athlétique.

 

Pour Julie, ça a commencé vers 13 ans et duré environ quatre ans. Coureuse de fond, elle et sa sœur jumelle s’entraînaient ensemble, beaucoup. Les sports de fond, les sports à catégorie de poids comme le judo ou la boxe, et les sports dits esthétiques comme la danse, sont parmi les plus touchés par les troubles d’anorexie athlétique. Environ 1% de la population souffre de ce trouble alimentaire et neuf malades sur 10 sont des femmes.

Aujourd’hui, Julie est nutritionniste diététicienne. Elle a recouvré une alimentation quasi-normale. Elle revient sur ses années d’anorexie athlétique.

« Les anorexiques sont très malignes »

La jeune femme raconte le cercle vicieux entre la perte de poids, qui jusqu’à un certain point permet d’améliorer la performance. Les résultats sportifs s’améliorent plus vite que la santé ne se dégrade, quand il y a une perte de poids important. « Au début, il y a toujours une phase de déni », ajoute-t-elle. La jeune femme portait par exemple des vêtements larges pour cacher sa maigreur.

Mirelle Bremont, psychologue auprès de l’association « Autrement, pour un autre regard sur son poids », la rejoint sur ce point. « Les anorexiques athlétiques voit leur corps et leur appétit comme un objet, qu’elles peuvent contrôler. Au début, elles voient seulement la performance qui progresse, pas les autres impacts de la perte de poids. Ce sont des personnes exigeantes, perfectionnistes.» Faire du sport leur permet d’assouvir ce besoin de contrôle.

Aurélia Bardot est nutritionniste diététicienne sur le campus de l’Université de Lorraine à Metz. Son travaille l’amène à intervenir auprès de personnes ayant des troubles alimentaires. Pour elle, « tous les sportifs n’ont pas des troubles alimentaires. Il y a une certaine prédisposition, faiblesse pour devenir anorexique. » Les causes peuvent être multiples : une pression familiale, ou alors une incitation de l’entraîneur qui incite à perdre « un peu » de poids, des relations parents enfants compliquées…

Pour Mireille Bremont, l’anorexie n’est pas que le fait de manger, « c’est montrer à son entourage que quelque chose ne va pas, qu’il y a un mal-être. »

Vouloir tout contrôler

Pendant qu’elle souffrait de troubles alimentaires du comportement (TAC), Julie suivait ce schéma de contrôle. « Une anorexique pourra cuisiner pour les autres mais ne pas manger, pour se montrer qu’elle est forte, qu’elle se contrôle. Elle est fascinée par la nourriture. Elle pourra aussi en cacher, pour ne pas la manger à table. »

Durant sa maladie, la jeune femme a plusieurs fois failli être hospitalisée en raison de sa maigreur. « À chaque fois, j’ai pu éviter. » Être hospitalisée, c’était ne plus courir, quelque chose d’inenvisageable pour elle. Aujourd’hui encore, elle s’entraîne tous les jours, même si elle a arrêté la compétition. Une façon de s’éloigner un peu du contrôle que la compétition impose parfois. « Courir, c’était ma carotte. »

Elle descendra jusqu’à 38kilos pour 1,68 mètre.

Pas de solution unique pour sortir de l’anorexie

Pour s’en sortir, elle a vu des psychologues, des psychiatres. Mireille Bremont a l’habitude de traiter ce genre de cas. « Clairement, il n’y a pas de solution unique. L’anorexie est provoquée par un contexte la plupart du temps, pas par un événement unique.» Au fil des années et des patientes, elle a remarqué que par exemple, l’hypnose ne fonctionnait pas très bien. « Toujours cette logique de contrôle », explique-t-elle. «Je mène des entretiens thérapeutiques avec les personnes atteintes de troubles alimentaires du comportement. En général, cela dure six mois minimum. Le plus vite c’est traité, moins de risque de rechute il y a. »

Elle nuance pourtant ses propos. Si la décision de venir ne vient pas de la malade, les effets seront bien sûr moindres. « Et puis, le cerveau d’une anorexique a appris ce réflexe de ne pas se nourrir. Il va s’en souvenir et il restera en mémoire toute sa vie. » Elle compare les troubles anorexiques à ceux de l’alcoolisme. « Face à une bouteille, quelqu’un qui n’a jamais été alcoolique et quelqu’un qui l’a été ne sont pas égaux. Et bien c’est pareil entre quelqu’un qui a été anorexique et quelqu’un qui ne l’a jamais été face à de la nourriture, ou aux événements de la vie. »

Julie la rejoint sur ce point. « Je pense qu’on est anorexique à vie. Il y aura toujours un événement qui pourra nous faire rebasculer. Il faut apprendre à se maîtriser… »

En complément de l’intervention de psychologues ou de psychiatres, des nutritionnistes diététicien.nes peuvent intervenir. Tout comme pour les entretiens thérapeutiques, le travail se fait sur du long terme. Aurélia Bardot fonctionne de la manière suivante. « C’est important de réintroduire tous les groupes d’aliments. Souvent, elles ne consomment quasiment plus de gras. Il faut y aller une étape après l’autre. »

« Un kilo en un mois, c’est trop »

« Au début, je fonctionne parfois en hypo-calories, c’est-à-dire qu’il ne faut pas que l’anorexique reprenne trop vite du poids. Un kilo en un mois, c’est trop par exemple, ça leur fait peur. »

Parmi les causes possibles de l’anorexie athlétique, la diététicienne pointe du doigt les représentations de la femme et des corps dans les médias. « Aujourd’hui, on a des femmes qui s’affinent de plus en plus, cela peut jouer. »

Quand la loi s’en mêle

Entrée en vigueur le 6 mai, la loi dites « mannequins » impose aux publicitaires de préciser s’ils ont ou non apposé des modifications sur le corps des modèles. Elle oblige également les mannequins à fournir un certificat médical attestant que sa santé n’est pas en danger lorsqu’il ou elle travaille et que son IMC est supérieur à 18,5. Une façon de lutter contre l’anorexie sur les podiums.

Dans le cas de l’anorexie athlétique, Julie pense qu’il faudrait « intervenir dans les clubs, faire des plans de prévention. Le nombre d’anorexique athlétique est vraiment sous-estimé, selon moi. »